Le Japon d’aujourd’hui s’intéresse à la sombre période de l’éradication du christianisme à la fin du 16ème siècle où de nombreux chrétiens furent persécutés et des missionnaires martyrisés.
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Un anniversaire émouvant au Japon en 2015
Le 17 mars 2015, l’Eglise du Japon a célébré en présence de vingt évêques, dont trois français, le 150ème anniversaire de la «Rencontre» du père Petitjean, prêtre des Missions Etrangères de Paris, avec les chrétiens cachés de Nagasaki, descendants des premiers chrétiens japonais évangélisés au 16ème siècle. La communauté catholique francophone de Tokyo y était, bien sûr, associée. Les célébrations ont eu lieu du 15 au 17 mars 2015 à Nagasaki dans la cathédrale d’Urakami, l’église de Nakamachi et celle d’Oura.
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Grande joie pour l’Eglise au Japon en ce mardi 17 mars!
Lors de la messe solennelle concélébrée par 20 évêques, cette page de l’histoire de l’Eglise a été rappelée par l’évocation dans l’église d’Oura au début de la célébration. Le père Chegaray, MEP représentait son confrère Petitjean et dix femmes en habit traditionnel posaient des questions au prêtre. Étonnante découverte que celle de ces chrétiens ayant gardé la tradition pendant sept générations, puisque l’Eglise est née au Japon grâce à St François Xavier au 16ème siècle! Mais ces débuts furent ensuite suivis de deux persécutions, dont les 26 martyrs crucifiés a Nagasaki.
Dans l’église comble, là-même où cette découverte eut lieu, l’Eglise du Japon a vécu un grand moment. La présence de trois évêques français et de prêtres MEP rappelait l’origine du catholicisme au Japon. Le message papal confié à l’envoyé du Saint Père, le cardinal Quevedo, soulignait cette grâce faite à l’Eglise au Japon par ces premiers chrétiens fidèles à la foi de leurs ancêtres. L’archevêque de Nagasaki, Mgr Joseph Takami, a aussi souhaité que cet anniversaire soit célébré avec le baptême de trois adultes. Moment émouvant pour tous: baptisés et fidèles. Ainsi, passé, présent et avenir se rejoignaient en un moment historique pour cette Eglise. La veille, lors d’un diner officiel avec 250 invités, une chorale de jeunes filles d’un collège catholique avait interprété deux chants, dont le Magnificat en latin, devant un auditoire émerveillé.
J’ai pu rencontrer les évêques japonais, dont celui d’Okinawa, autrefois appelé Liou Kiou, là-même où Mgr Forcade a commencé sa mission en 1844. C’est dans ce lieu en effet que tout a commencé et s’est poursuivi dans la région de Nagasaki. Mgr Forcade, premier évêque du Japon, est devenu ensuite le deuxième évêque de Basse-Terre en Guadeloupe. C’est au titre d’évêque de Guadeloupe que j’avais été officiellement invité à participer à ce jubilé exceptionnel.
Nagasaki rappelle aussi la bombe atomique du 9 août 1945, il y a 70 ans. Les évêques japonais ont publié récemment une lettre pastorale courageuse pour rappeler que leur pays se veut un pays de paix, après l’horreur de la guerre et des bombes qui détruisirent deux villes et tuèrent des dizaines de milliers de personnes. Cette ville est enfin le lieu où le père Maximilien Kolbe, franciscain, vécut avant la guerre en développant l’apostolat par la presse. Lors de son seul voyage au Japon en février 1981, son compatriote Jean-Paul II avait fait une visite dans ce couvent franciscain, avant de canoniser un an plus tard celui qui mourut à Auschwitz en août 1942 pour remplacer un père de famille dans le bunker de la mort.
Ainsi, Nagasaki, ville de morts et de drames, a été en ce jour le lieu de rendez-vous des chrétiens du pays qui se souvenus de la grâce de l’évangélisation apportée par les missionnaires venus au 16ème et au 19ème siècle. Les cérémonies de ce 150ème anniversaire ont marqué tous les participants et le pays puisque les chaînes de télévision ont retracé l’histoire de l’Eglise et donné des reportages de cette journée historique.
+ Jean-Yves RIOCREUX, évêque de Guadeloupe
Des chrétiens cachés pendant trois siècles.
La première évangélisation du Japon est marquée par l’arrivée de saint François Xavier à Kagoshima (15 août 1549). En une trentaine d’années, c’est une mission florissante et exclusivement jésuite qui voit le jour. Mais le contexte politique japonais changea au début du XVVè siècle : un chef de clan, Tokugawa Ieyasu, après avoir éliminé ses rivaux et placé ses proches, obtint de l’empereur le titre de Shôgun en 1603. Il transfère sa capitale à Yedo ( l’actuelle Tokyo), tandis que l’empereur est désormais cloîtré à Kyoto. Après avoir accepté , dans un premier temps, de signer des accords avec les « nouveaux Européens » récemment arrivés au Japon : Espagnols et Hollandais, Tokugawa Ieyasu va interdire, sous l’influence du moine bouddhiste zen Suden, toute activité chrétienne sur le territoire japonais.
L’Edit du 27 janvier 1614 vise l’éradication totale du catholicisme en plein essor depuis quelques années : Nagasaki, la « petite Rome » du Japon venait d’achever la construction de la cathédrale de l’Assomption pour ses 40 000 fidèles. L’influence chrétienne est désormais jugée néfaste, voire dangereuse pour le pays : le christianisme ne révère-t-il pas un condamné ? La morale confucéenne reproche aux missionnaires chrétiens non seulement d’avoir abandonné leurs familles mais aussi de prôner le célibat, ce qui est contraire à l’éthique de loyauté et de piété filiales préconisée. Le christianisme ne risque-t-il pas d’accentuer la présence portugaise et espagnole au risque d’une dépendance, voire même d’une sujétion ? Le christianisme est ainsi perçu comme le cheval de Troie des catholiques occidentaux.
Le Japon est présenté comme la terre du Bouddha et des Kam. Le christianisme est un corps étranger à la tradition, aussi, les convertis japonais sont-ils fortement invités à abjurer. Les églises sont détruites, les missionnaires exilés ou exécutés. Le dictateur fait procéder à des arrestations et prononce vingt-six condamnations à mort : six franciscains espagnols, trois jésuites japonais et dix-sept franciscains japonais. Rassemblés à Kyoto, les condamnés vont parcourir un long chemin de croix de 800 km, en plein hiver, et, le 5 février 1597, ils sont crucifiés face à la mer– face à l’Occident –, sur une colline dominant Nagasaki. Ainsi commence une ère de persécutions qui va se prolonger pendant toute la première moitié du XVIIe siècle. De nombreux missionnaires sont martyrisés, et un système inquisitorial se met en place pour éradiquer définitivement le christianisme. Pour forcer les chrétiens à se dénoncer ou à apostasier, on les oblige à fouler aux pieds une image religieuse. En 1627, Rome béatifie les martyrs de Nagasaki, et l’événement provoque une importante production iconographique.
La seconde évangélisation du Japon
Pendant deux siècles, le Japon vit coupé du monde. Durant cette période de fermeture du pays, ce culte chrétien s’exerce sans prêtre, sans sacrement, sans écrit. Pour subsister, le christianisme joua de subterfuges. Le « dieu des débarras » est vénéré comme l’on peut, clandestinement. Au fond des maisons, on prie secrètement la Vierge Marie sous la forme d’une statuette du boddhisattva Kannon, figure de la compassion dans le bouddhisme japonais.
Globalement, l’influence bouddhique est forte sur ce culte chrétien clandestin, notamment quant au culte des ancêtres célébré, et en août (bouddhisme) et à la Toussaint ( chrétiens). Cette religion métissée survit de nos jours dans quelques îlots du sud du Japon ( Ikitsuki-Shima au nord-ouest de Kyushu) où quelques centaines de personnes pratiquent en secret ( Kakure), sont baptisées avec des prénoms espagnols ou portugais bien que réputées officiellement bouddhistes. Ces « Kakure » refusent de se fondre dans l’Eglise officielle actuelle où ils ne se reconnaissent pas.
Dans les années 1840, les autorités japonaises laissent à nouveau accoster les navires occidentaux, et aussitôt, les missionnaires en profitent pour s’introduire dans le pays. Les prêtres des Missions étrangères de Paris sont parmi les premiers à entrer au Japon, dont le père Petitjean qui fait bâtir à Urakami, près de Nagasaki, une église dédiée aux martyrs de 1597 – désormais canonisés (1862).
Le 17 mars 1865, un mois après la consécration de l’église, des villageois d’Urakami se présentent de leur propre initiative au père Petitjean et lui tiennent ces propos étonnants : « Notre coeur est comme le vôtre. Maria-sama no dozo wa doko ? (où est la statue de Marie ?) » Le missionnaire français n’en croit pas ses yeux : il se trouve en présence de « chrétiens cachés »!
En dépit des persécutions et en l’absence de tout clergé, des kirishitan ont réussi à se transmettre de génération en génération l’essentiel de la foi chrétienne.
À la même époque, des œuvres d’art précieusement conservées dans les familles réapparaissent au grand jour.
Cette rencontre entre les « chrétiens cachés » et les missionnaires européens marque le début de la seconde évangélisation du Japon. En 1867, le dernier Shôgun remet ses pouvoirs à l’empereur Mutsuhito, et commence alors l’époque Meiji, celle du Japon moderne. Les Japonais retrouvent la liberté religieuse, aussi le christianisme fait-il officiellement son retour au Japon. Les jésuites reviennent au Japon début XXè siècle et fondent l’université Sophia à Tokyo.