A l’occasion des prochaines Journées Pastorales à Paris, du 26 au 28 août 2015, Chantal Joly donne ici le témoignage de deux prêtres responsables chacun d’une communauté catholique francophone et de deux laïcs ayant vécu longtemps en expatriation dans plusieurs pays. Ils montrent la vitalité de ces lieux d’Église au cœur de la mondialisation.
(Article paru sur le site de l’Eglise catholique.)
Pierre, le double enseignement du Vietnam
En tant que catholique français ayant séjourné dans l’un des derniers États communistes de la planète, Pierre a cumulé deux formidables expériences humaines et spirituelles. D’abord en 2013, en tant que volontaire international pour les Missions Étrangères de Paris (MEP): six mois comme seul occidental dans une paroisse du delta du Mékong. Une immersion dans « une autre façon d’appréhender le temps : dans la gratuité et le don quasi total de soi pour la communauté paroissiale ». S’il y a donné de son temps en assurant des cours et des services à l’orphelinat, Pierre témoigne avoir surtout découvert une «approche plus humaine de la relation à Dieu et aux autres ». Sept mois plus tard -le temps d’un stage en France – l’étudiant en droit est revenu pour une année entière au Vietnam, de juillet 2014 à juin 2015, dans le cadre d’un Master 2 Affaires internationales, via la filière délocalisée de son université parisienne. La paroisse française de Saïgon, où il se rendait occasionnellement, est, cette fois-ci, devenue son point de chute. Une église prêtée par un des nombreux monastères du pays, dans un quartier résidentiel mi-vietnamien mi-international et fréquentée par de nombreux jeunes couples et familles, des étudiants, des franco-vietnamiens et des diplômés fraîchement salariés. Dans cette communauté animée par un prêtre vietnamien, un prêtre belge et des séminaristes de passage, Pierre s’est fait « quelques bons amis ». Il dit y avoir apprécié la « très bonne ambiance », entretenue par un cocktail mensuel des familles à la sortie de la messe et des journées spirituelles et ludiques hors de la capitale. Une sorte de « vie de village», avec le risque pour les expatriés de « rester sur leur planète ». Ayant pratiqué pour sa part les clubs huppés de Saïgon comme les zones rurales sans eau potable, ce passionné de politique et de problématiques sociales et économiques est, à 23 ans, riche de ce double regard. En résidence provisoire aux MEP, il se rend désormais à la messe à 7h30 avant de consacrer ses journées à préparer son examen pour devenir avocat.
Notre-Dame de France à Londres : une paroisse-carrefour
« Un sas entre deux mondes » ; c’est ainsi que le Père Pascal Boidin qualifie Notre-Dame de France à Londres. Voilà un an que ce Mariste, ancien aumônier de lycées à Toulon, a jeté l’ancre dans le quartier des théâtres et des cinémas de Soho, au cœur même de la capitale anglaise. Et sans doute encore pour quelques années dans la mesure où il en devient le recteur À 50 ans, c’est sa première mission pastorale à l’ »étranger ». Et si Londres l’européenne n’est qu’à quelques miles de Paris et si les expatriés français y sont en foule, cette paroisse tenue par six pères et deux religieuses maristes, riche d’œuvres d’art, reste « un lieu privilégié, attachant et singulier». Notre-Dame de France reflète « la diversité et le dynamisme de Londres » : jeunes familles françaises de milieux aisés éloignées de moins d’une demi-heure de métro, Africains francophones qui mettent un peu plus longtemps pour venir. Mais aussi réfugiés du centre d’accueil, sans-abri accueillis l’hiver dans les locaux paroissiaux en alternance avec sept autres Églises du quartier (Anglicane, Baptiste, Méthodiste…), étudiants français venus tenter leur chance à Londres, etc. Davantage que d’autres églises catholiques avec qui elle a « des projets communs », Notre-Dame de France s’avère « un lieu de passage », une communauté à laquelle « on se sent appartenir, mais de façon ponctuelle ». « Il existe pas mal de passerelles entre ces différents groupes », témoigne le Père Boidin. Pour preuve la célébration des 150 ans de la paroisse en avril 2015, « une très belle fête au cours de laquelle les musiques classiques ou plus rythmées et surtout les communautés se sont mélangées ». « Au courant et très solidaire » de ce qui se passe dans l’Église en France, le Père Boidin l’est, en parallèle, de ce qui se vit au Royaume-Uni. Et au-delà ; un certain nombre de ses fidèles « ayant beaucoup voyagé manifestant un rapport plus ouvert à l’international ». Dans ce pays où, en pleine rue, un spectacle sur la Passion du Christ ou une fête pour Bouddha ne choquent pas, le Père Boidin continue de vivre la « French Touch » de la laïcité via le Lycée Français. Une église anglicane y est louée à proximité pour des célébrations pendant le temps scolaire. En mai dernier, 75 de ces jeunes ont traversé la Manche pour participer au FRAT, pèlerinage des jeunes chrétiens d’Île de France.
Chapelle St-Louis de Buenos Aires : « une belle réalité ».
Incardiné à Toulon, le Père Edouard de Grivel vit depuis dix ans dans une toute autre métropole portuaire. Arrivé à Buenos Aires en tant que séminariste pour l’ONG Points Coeur, le voilà depuis 4 ans prêtre avec, depuis un an et demi, la charge des Français expatriés et des Franco-Argentins de longue date qui fréquentent la chapelle St Louis. « Un bon équilibre », assure-t-il, avec son travail auprès des habitants des favellas. Sur les 8000 Français présents dans la capitale argentine, sa communauté ne représente qu’une poignée de familles mais le Père de Grivel témoigne d’une « belle réalité ». Les familles sont heureuses de se retrouver le dimanche dans ce quartier résidentiel de Belgrano, près du lycée franco-argentin Jean Mermoz. Elles sont dynamiques, les mamans sont contentes de s’investir dans la liturgie, la catéchèse ou l’éveil à la foi, soutenues par des Sœurs de Points Cœur. Quant aux enfants, nombreux, ils sont « très missionnaires, n’hésitant pas à inviter de manière très naturelle leurs copains au caté ». Bien que n’étant pas paroisse classique, la communauté fait l’objet d’un accompagnement attentif de l’évêque auxiliaire de Buenos Aires, Mgr Alejandro Giorgi. Le Père de Grivel connaît très bien par ailleurs le curé de la paroisse Nuestra Señora de Las Mercedes et des temps forts se vivent en commun pour la fête de Saint Louis ainsi qu’en début d’année. Le « challenge » de la petite communauté française, c’est le réaménagement de la Capilla San Luis, un vieux bâtiment en briques. À 38 ans, le prêtre français se sent « très à l’aise » dans ce pays où « se vit un lien très fort et très simple, très direct entre la foi et le quotidien et où, sans forcément se rendre régulièrement à la messe, ce peuple n’oublie pas Dieu ni Marie dans sa vie ». De plus, depuis l’élection de son compatriote, le Pape François, « Rome s’est rapprochée…et on n’y parle plus seulement de foot », commente le Père de Grivel en souriant.
Thierry et Dominique : un réseau d’amis et d’engagements.
Interrogé lors d’une retraite sur ses moments de bonheur, Thierry, outre ceux passés avec ses 4 enfants et 11 petits-enfants, a spontanément pensé à toutes les communautés dans lesquelles lui et son épouse ont été accueillis. Et Dieu sait qu’elles furent nombreuses, en France autant qu’à l’étranger ! Ce sexagénaire qui raconte être né « dans un carton de déménagement » a sillonné le monde comme forestier puis pour un groupe industriel distribuant des engins de travaux publics, avant d’intégrer la banque. Et partout avec son épouse, leur premier réflexe a été de chercher une paroisse pour « trouver des frères, des sœurs, des copains », et si possible une paroisse française tant «prier dans sa langue natale est plus confortable ». Il n’y a guère qu’en pleine brousse au Gabon que cette quête s’est révélée impossible. En Algérie, le couple a eu la chance, dans une petite ville des Aurès, de croiser un Père Blanc français et des compatriotes devenus de solides amis. Au Congo, la paroisse francophone « assez traditionnelle », comptait une chorale et une équipe informelle de réflexion où le couple a pu s’impliquer. Au Liban où leur dernière fille fréquentait le lycée français, ils ont créé aussi un groupe de réflexion animé par un prêtre maronite marié et ont « trouvé une nourriture intellectuelle et spirituelle » auprès de l’Université Saint Joseph de Beyrouth. En Serbie ils sont devenus des fidèles de la paroisse anglophone internationale où se rassemblait tout le corps diplomatique et, un dimanche par mois, pouvaient échanger et célébrer en français grâce à un prêtre slovène dans la banlieue de Belgrade, avec qui Dominique assurait la catéchèse des enfants francophones. En Pologne, leur dernière patrie d’adoption, ils se sont sentis accueillis « dès le jour de leur arrivée » dans la communauté francophone tenue par les Jésuites. À tel point que ces anciens des Équipes Notre-Dame sont devenus les coordinateurs laïcs de la paroisse, aux côtés du prêtre polonais, en charge de la communauté francophone. L’occasion, cette année-là, de « recueillir un tas d’idées et de faire le plein d’énergie et de contacts » lors des Journées Pastorales du réseau des CCF à Vienne en Autriche. Avec le recul, Thierry, aujourd’hui bénévole sur Paris, s’émerveille de « l’engagement de tous ces laïcs à l’étranger ». Il pointe une difficulté : « Ne pas totalement réussir à développer des liens avec les Eglises autochtones ».