Le nom de Jean Vanier est indissociable de celui de L’Arche, communauté qu’il a fondée en 1964.
Nous avons vu que c’est en septembre 1950, à L’Eau vive, que Jean Vanier fait la connaissance du père Thomas avec lequel il noue d’emblée une relation profonde, en raison de leurs affinités intellectuelles. Cependant, le jeune homme n’a apparemment pas cherché à connaître les raisons du rappel brutal du prêtre à Rome, où il restera confiné presque une décennie – seraient déjà en cause des plaintes sur ses agissements sexuels de religieuses dont il assurait la direction spirituelle. S’est-il interrogé sur les raisons de sa propre éviction, en 1956 ? Il n’a pu manquer d’avoir connaissance des lourdes sanctions canoniques infligées au dominicain par le Vatican : interdiction d’enseigner, d’exercer tout ministère et d’administrer tout sacrement en public, causes de ce qui s’apparente à un exil dans l’Oise imposé.
En effet, à la fin de 1963, Jean Vanier se rend au Val Fleury, résidence qui accueillait une trentaine de personnes ayant un handicap mental, à l’invitation du père Philippe qui en est l’aumônier et qui l’incite à s’intéresser aux handicapés mentaux. Il en résultera, quelques mois plus tard et de la seule initiative du premier, la fondation de L’Arche, dont le dominicain sera l’aumônier jusqu’en 1991, avant qu’il ne se retire auprès de son frère Marie-Dominique Philippe, également dominicain et fondateur des frères de Saint-Jean, dans leur prieuré de Saint-Jodard où il mourra deux ans après.
Ce n’est qu’en 2014, plus de vingt ans après sa mort, qu’à l’occasion des festivités organisées pour célébrer le cinquantenaire de L’Arche, deux femmes révèlent qu’elles ont été victimes de viols répétés, perpétrés par le dominicain, entre 1970 et 1991, dans le cadre d’accompagnements spirituels où il prônait la doctrine d’ « amour d’amitié » élaborée par son frère Marie-Dominique, et dont l’expérience relevait, selon lui, d’une grâce particulière qui impliquait que le silence soit gardé à son sujet. Les témoignages de quatorze personnes, recueillis lors de l’enquête canonique menée sous la responsabilité de Mgr Pierre d’Ornellas, évêque accompagnateur de la communauté, ont confirmé les faits, qui manifestent « une conscience faussée », selon les conclusions du rapport.
En raison de son attachement et de son admiration pour son ancien père spirituel, Jean Vanier n’a pas mesuré tout de suite l’ampleur de ces abus, ni les souffrances pour les victimes qui en ont résulté. En mai 2015, tout en se disant « choqué et bouleversé » par ces révélations et en reconnaissant qu’il avait été informé des faits quelques années auparavant, sans en connaître la gravité, il est loin de condamner le père Thomas, vers qui va sa gratitude pour « l’action de Dieu en moi et dans l’Arche à travers lui”. Ce n’est qu’un an plus tard, à la suite des reproches de la communauté tout entière quant à son silence sur ces scandales, qu’il écrit pour demander pardon aux victimes de « ne pas avoir assez vite mesuré leur traumatisme », affirmant aussi avoir fait « le deuil du père Thomas tel qu’il l’avait connu. » Alors trop affaibli, il n’a pu voir le documentaire qui donnait le témoignage de religieuses dont avait abusé le dominicain, diffusé en mars 2019 sur Arte et dont le site internet du Vatican a rendu compte.
Consciente du grave préjudice moral que lui causait ce scandale, la communauté de l’Arche n’a en rien cherché à minimiser ni à occulter sa responsabilité, considérant que « cet épisode fai[sai]t partie de [son] histoire, » et qu’il lui appartenait de l’intégrer lucidement. Mais elle a rappelé que l’aumônier n’était pas son fondateur et qu’elle ne reposait pas sur ses enseignements. De fait, il n’a joué aucun rôle dans son mode de fonctionnement et de développement, Jean Vanier ayant toujours en cela suivi ses intuitions propres, sources de tensions avec celui qui est toujours resté son père spirituel. À l’encontre de ce que préconisait celui-ci, il a ouvert la communauté à la mixité, aux différentes confessions chrétiennes d’abord, puis à une dimension inter-religieuse, afin que chaque communauté soit enracinée dans la tradition religieuse locale et qu’il soit donné à chaque membre de vivre sa foi « selon la loi et la tradition qui lui sont propres ».
La réponse à la question de savoir ce que savait Jean Vanier, et depuis quand, est fondamentale non seulement pour que les membres de L’Arche puissent évaluer objectivement la personnalité de leur fondateur, mais aussi pour qu’eux-mêmes puissent assumer leur part de responsabilité dans ce qui a été un manque de vigilance, sans doute par excès de confiance envers une personnalité aux facettes parfois attirantes.
S’il n’a pas été prêtre, Jean Vanier a consacré sa vie à l’apostolat, par son choix de vie, ses propos et ses actes toujours en parfaite harmonie.
Vivre au plus près de l’Évangile et défendre inlassablement la valeur de la fragilité sont les deux axes majeurs et interdépendants qui ont assuré la cohérence et l’authenticité de tout le parcours de Jean Vanier qui, sans relâche, a appelé à suivre cette voie. Car seule, la conscience de ses propres limites et de son propre besoin d’être reconnu et aimé permet une rencontre sincère avec Jésus, proche des plus fragiles et des plus délaissés, et elle ouvre la voie à la compassion. Elle incite à l’humilité, dont le mode d’expression le plus marquant est la liturgie du lavement des pieds, qui tient une place privilégiée dans les communautés de L’Arche : selon Jean Vanier, elle témoigne de la volonté d’abolir tous les clivages entre les humains et donc d’être un facteur d’union. C’est pourquoi, quarante ans durant, il a voyagé dans le monde entier pour faire reconnaître la plénitude d’humanité qui habite tout être, même handicapé.
À une journaliste qui lui demandait, à la fin de sa vie, s’il n’avait pas peur d’être saint, il répondit :
“La sainteté ne m’intéresse pas. La seule chose qui m’intéresse, c’est d’être l’ami de Jésus […]. Je veux être avec Lui quelque part, je ne sais pas où. Jésus est pauvre, humble. Je souhaite être avec lui dans la pauvreté. Toujours dans la pauvreté. C’est la seule chose. Le secret est toujours dans la descente, et non la montée. C’est accepter qu’on est fragile.”
Il souligna la contradiction actuelle entre la société avide de réussite et de pouvoir et la vie chrétienne centrée sur Jésus, si humble et si petit. Lui-même a choisi très tôt, entre 1975 et 1981, une première forme de dépouillement en se démettant de toute fonction au sein de l’organisation et des divers conseils de décision de L’Arche, puis de ceux de Foi et Lumière, sans quitter pour autant le point d’ancrage qu’est resté pour lui Trosly. En outre, à une gouvernance solitaire et autoritaire, il préféra la collégialité et la responsabilisation en mettant à contribution chacun des membres des communautés. Des années plus tard, la vieillesse, passage « vers la faiblesse acceptée », l’a conduit à des dépouillements ultimes, nécessaires pour vivre en « communion plénière avec Dieu », et pour s’accomplir dans sa vérité. Il a ainsi partagé avec le pape François la conviction d’une « sainteté ordinaire » fondée sur la vertu des petits actes banals et nécessaires de la vie quotidienne, accomplis avec joie.
C’est assurément sa fidélité à sa « petite voix intérieure » et à ses engagements qui lui a permis de voir venir la mort très sereinement. Selon les propos de Mgr Michel Aupetit, archevêque de Paris, qui lui a rendu visite quelques jours avant sa disparition, le 7 mai 2019 : « Il était lumineux et joyeux, tout abandonné entre les mains de Dieu, comme un enfant qui va rentrer à la Maison du Père ».
Principaux sites pour aller plus loin :
- L’Arche
- Jean Vanier : Nous choisissons de ne pas reproduire ici ni la bibliographie complète (42 ouvrages) de Jean Vanier ni les ouvrages sur lui, ni les différents prix et récompenses qu’il a obtenus, qu’on trouvera aisément sur ce site.
- Le sacrement de la tendresse : Film sur Jean Vanier et aussi sur Informations Handicap
- Foi et Lumière
- Intercordia
- Aleteia
Dossier rédigé par Geneviève Le Motheux
A l’image de JEAN VANIER, l’accueil de l’autre, quel qu’il soit avec ses fragilités, dans le respect, dans l’écoute et dans la joie est l’occasion de vous faire découvrir le travail remarquable fait en catéchèse dans le cadre de la Pédagogie catéchétique spécialisée.
Qu’est-ce que la Pédagogie catéchétique spécialisée (PCS) ?
La PCS existe pour que la responsabilité catéchétique de l’Eglise soit exercée auprès de tous, sans oublier ceux qui ont un handicap, une maladie ou des difficultés particulières.
Son histoire
C’est en 1959 que les Évêques de France ont institué au sein du Centre National de l’Enseignement Religieux, un service désigné alors comme « Service des Inadaptés ». En 1961, ce service prit le nom de « Pédagogie Catéchétique Spécialisée ».
Comme son nom l’indique, en PCS (Pédagogie Catéchétique Spécialisée) c’est bien la pédagogie qui est spécialisée, adaptée, ajustée aux personnes. La catéchèse est la même pour tous, et référée en France au Texte National pour l’Orientation de la Catéchèse (2005).
Sa mission
La PCS a la mission de proposer, de soutenir, d’organiser et d’animer la catéchèse auprès des personnes handicapées, enfants, adolescents et adultes, qu’elles le soient pour des causes physiques, psychologiques ou sociales.
Très concrètement cette catéchèse se vit en petits groupes dans les institutions où vivent les personnes, ou bien encore dans les paroisses, et enfin au sein même des familles. Les accompagnateurs proposent des chemins pour grandir dans la foi, acheminer vers les sacrements, vivre sa vocation baptismale.
Sa particularité
Une préoccupation particulière des équipes de PCS est enfin d’informer sans cesse et sans répit sur l’existence et les possibilités de la PCS : auprès des personnes elles-mêmes, auprès des familles, auprès des acteurs ecclésiaux, auprès des professionnels des établissements médico-éducatifs.
Plusieurs milliers d’enfants et d’adultes sont concernés en France, et la plupart des diocèses nomment une personne ou une petite équipe pour cette mission.
Boîte à outils de la PCS
Catéchèse et handicap : ce dossier “Boite à outils” regorge d’éléments concrets pour l’organisation et l’animation d’un groupe proposant une pédagogie catéchétique spécialisée.
Sources : Service national de la catéchèse et du catéchuménat.
Contact : Isabel de La Taste, Responsable pastorale catéchèse et handicap (PCS), isabel.delataste@cef.fr