Dossier établi par Mgr Robert Poinard,
Aumônier général des
Communautés catholiques francophones dans le monde,
Professeur de droit canonique.
Qu’est-ce que la laïcité à la française ?
En France, les relations entre l’Etat et les religions ont souvent été conflictuelles à cause de la très forte emprise exercée par l’Etat imprégné depuis longtemps de gallicanisme. En 1905, le gouvernement français dénonce unilatéralement le concordat signé entre Pie VII et Napoléon. Il établit dès lors un régime de laïcité même si des régimes particuliers subsistent dans certaines parties de la République. Cette séparation va engendrer, grâce à un intense travail jurisprudentiel, un type original de relations entre les religions et l’État qui étonne parfois nos amis étrangers.
Dans une Europe qui se construit sur le fondement du respect des libertés publiques et de la conscience, le régime des cultes, des congrégations, de l’enseignement, des aumôneries de service public, suscite de nos jours un intérêt renouvelé, d’autant que le paysage religieux de la France a beaucoup changé durant le XXe siècle. Les guerres, l’affaiblissement numérique du catholicisme, l’arrivée de nouvelles religions (islam, bouddhisme, mouvement néo-chrétiens) demandent aux juristes et à tous les responsables publics une capacité renouvelée pour mieux adapter les solutions reçues du passé au contexte nouveau.
Pour bien saisir les enjeux actuels il nous faut absolument nous tourner vers notre Histoire politico-religieuse nationale.
La France a entre-temps profité de la confusion : le roi Charles VII a promulgué en 1438 la Pragmatique Sanction de Bourges qui limite la juridiction pontificale et épouse la doctrine conciliariste. Comme le Saint Siège n’accepte pas de recevoir ce texte, le désaccord demeure latent jusqu’au règne de François Ier (1515-1547) qui conclut avec Rome le concordat de Bologne (1516). Cet accord régira désormais les rapports Eglise/Etat en France jusqu’à sa dénonciation par la Révolution de 1789.
Ce compromis officialise la pratique du droit royal de présentation[1] des candidats du souverain aux grandes charges ecclésiastiques (évêchés et abbayes). D’un côté, le Pape se trouve dégagé de la doctrine conciliariste proclamée au concile précédent. De l’autre, le roi de France dispose librement de la nomination aux grands bénéfices, soit environ 150 évêchés et 500 monastères. Les élections, qui se pratiquaient dans les communautés religieuses ou les chapitres, sont supprimées. Seules quelques églises, ordres, abbayes ou prieurés conservent néanmoins le droit d’élire leur responsable en vertu d’un privilège accordé par le Saint-Siège. La procédure utilisée pour la nomination des évêques sera plus tard reprise par le concordat napoléonien : le chef de l’Etat nomme le candidat à qui le Souverain pontife confère l’investiture canonique qui lui permet de prendre possession de son siège.
Une nouvelle étape est franchie en 1682 avec la Déclaration des quatre articles qui peut être considérée comme la charte du gallicanisme : l’assemblée des évêques de France, menée par Bossuet, évêque de Meaux, y reprend les décrets du concile de Constance concernant la suprématie de l’assemblée universelle des évêques sur le Souverain Pontife. Gallicans et jansénistes s’unissent pour imposer au pape un strict respect de l’autonomie de l’Eglise de France et la non-intervention e Rome dans son organisation et son fonctionnement.
Le clergé français du XVIIIe siècle est si massivement gagné aux idées gallicanes, que les constituants de 1789 peuvent imposer sans difficulté une Constitution Civile du Clergé qui prétend fonder une Eglise nationale totalement autonome par rapport à Rome. Mis en place au début de 1791, ce nouveau régime du culte catholique transforme le clergé en corps de fonctionnaires salariés par l’État sous réserve de la prestation d’un serment de fidélité. Après avoir longtemps hésité, le pape Pie VI condamne la constitution civile, ce qui a pour conséquence immédiate une division du clergé français entre prêtres assermentés et prêtres insermentés qu’on nomme en langage populaire prêtres jureurs et prêtre réfractaires.
L’Eglise nationale assermentée ou Eglise constitutionnelle aura une durée de vie de dix ans (1791-1801). Elle se considérera comme l’héritière historique de l’Église gallicane, c’est-à-dire seule authentiquement catholique. Pourtant son organisation sera sur de nombreux points en désaccord avec la tradition : élection du clergé par l’ensemble des citoyens (y compris des non catholiques), épiscopat sans investiture canonique du Souverain Pontife[2]. Revendiquant ses libertés propres, cette Eglise séparée est dès lors considérée comme schismatique : ce refus de reconnaissance par Rome va empoisonner les rapports entre l’Etat et le Saint-Siège jusqu’à la fin de la période révolutionnaire, entraîner la dénonciation unilatérale du concordat de 1516 et la rupture des relations diplomatiques entre la France et Rome (1791).
On peut affirmer que c’est l’héritage de cet ancien contentieux entre l’Eglise catholique et l’Etat qui pèse encore très lourd de nos jours : le catholicisme apparaît depuis la Révolution comme une force conservatrice, voire réactionnaire, en lutte contre toute idée nouvelle, attachée au régime monarchique et donc ennemie de la République. L’inconscient collectif français en demeure profondément marqué jusque dans les débats actuels. On a pu lire en effet que le christianisme n’était pas soluble dans la République sous la plume de certains laïcistes.
[1] Ce droit de présentation est aussi appelé droit de patronage.
[2] Les évêques constitutionnels ne reconnaissent que la primauté spirituelle du pape ; ils ne lui demandent pas l’investiture canonique prévue par le concordat de Bologne mais lui envoient, à titre purement informatif, une lettre de communion pour l’informer de leur élection épiscopale. Les ordinations épiscopales se font donc sans mandat pontifical.
Le principe ou la règle de catholicité :
Contrairement à l’Angleterre par exemple[1], la France n’a jamais eu de Constitution écrite. Le roi reste néanmoins soumis à des principes de droit public dont il ne peut s’affranchir et qui sont consacrés par la coutume du royaume. A partir de 1575 ces normes sont répertoriées et dénommées « lois fondamentales du royaume ». Le nouveau roi, lors de son sacre, jure de s’y soumettre et de les maintenir. L’une de ses lois s’appelle la règle de catholicité qui comporte plusieurs normes : pour être sacré roi de France le dauphin doit être issu d’un mariage catholique canoniquement valide ; le serment du sacre en fait le protecteur du catholicisme, religion officielle du royaume. Il s’engage à lutter contre l’hérésie, ce qui, à partir de la Réforme protestante, sera diversement interprété par chacun des souverains[2]. En revanche, la petite minorité de sujets non chrétiens (juifs ou musulmans) n’a aucune obligation d’embrasser la foi catholique. Louis XIII a étendu la règle de catholicité, par l’édit du 26 avril 1615 à toutes les colonies de la Couronne ce qui interdit aux non-catholiques de s’y installer.
a) le culte protestant : combattu depuis l’origine de la Réforme jusqu’à la fin du XVIe siècle, il obtient un statut légal par l’Edit de Nantes (15 avril 1598), qui établit des règles de tolérance mais non de reconnaissance puisque la religion catholique demeure religion d’Etat. Durant près d’un siècle le culte protestant peut s’exercer assez librement, non sans vexations populaires ou administratives en certains endroits. Cette tolérance prend fin avec l’Edit de Fontainebleau (18 octobre 1685) qui interdit l’exercice du culte réformé dans le royaume et ses colonies. Seuls les résidents protestants de nationalité étrangère sont autorisés à une pratique privée de leur culte qui ne subsiste que dans les ambassades ou les régiments étrangers de l’armée royale. Sous Louis XVI l’Edit de Tolérance (7 novembre 1787), sans rétablir toutefois l’exercice public du culte protestant, permet néanmoins à ceux qui pratiquent ce culte de ne plus être considérés comme des délinquants. Il faut attendre la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 pour que l’exercice public du culte protestant soit autorisé au nom de la liberté religieuse accordée à tous les citoyens. C’est la première fois dans l’histoire de notre pays que la religion d’Etat est abolie et que la liberté de culte est légalisée.
b) le culte israélite : jusqu’au XVIIIe siècle, l’exercice du culte israélite n’est toléré que soumis à une très stricte règlementation. Les Juifs ne sont pas des sujets de droit commun. Ils ne peuvent s’installer que dans des quartiers réservés où ils ont le droit d’élever des synagogues que seuls les israélites peuvent fréquenter. Il existe un double principe de tutelle et de discrimination : les communautés juives fonctionnent en autarcie avec leur droit propre, leurs tribunaux, leurs traditions, etc. Mais en même temps les Juifs ne jouissent pas des droits des autres sujets et sont astreints à de nombreuses obligations, notamment au plan de corvées et d’impôts particuliers. A la fin du XVIIIe siècle, sous l’influence des philosophes, divers édits royaux émancipent les Juifs : l’édit de 1784 supprime certaines taxes et l’édit de tolérance de 1787 leur donne un état civil. Durant les deux premières années de la Révolution, alors que la liberté religieuse a été proclamée, les Juifs restent exclus de cette libéralisation. Il faut attendre, après de houleuses discussions à l’Assemblée nationale, la loi du 13 décembre 1791 pour que la citoyenneté française leur soit accordée en même temps que la liberté de pratiquer leur culte, même si quelques lois discriminatoires demeurent encore en vigueur. Ces dernières ne seront supprimées que sous la monarchie de Juillet (1830-1848).
c) les autres cultes minoritaires : il y a fort peu d’autres cultes en France sous l’Ancien Régime. Quelques ottomans musulmans, des khmers bouddhistes qui sont autorisés à pratiquer un culte privé dans leurs ambassades ou à domicile. Beaucoup d’étrangers, notamment les domestiques africains, indiens ou asiatiques, sont souvent des convertis au catholicisme.
[1] Avec la Grande Charte de 1215.
[2] Louis XVI fait supprimer, lors de son sacre, le 11 juin 1775, la formule qui l’oblige à « exterminer les hérétiques ».
La Révolution laisse en France une situation de division : la fracture profonde dans le clergé catholique entre assermentés et insermentés, constitutionnels et réfractaires, menace durablement la paix civile. Le gouvernement de Bonaparte, Premier Consul, ne peut se satisfaire d’une guerre civile larvée : un concordat signé entre la France et le Saint Siège le 15 juillet 1801, péniblement négocié, est un nouveau compromis qui rétablit la paix religieuse, en même temps que l’autorité de Rome sur l’ensemble des catholiques français. Le catholicisme est reconnu comme « la religion de la grande majorité des Français » : si le concordat ne fait pas du catholicisme la religion officielle de la France il lui confère néanmoins une position dominante dans la nation.
Selon des dispositions proches de celles du concordat de 1516, les nouveaux évêques sont présentés[1] à la nomination par le gouvernement, puis reçoivent du Pape l’institution canonique. L’Eglise s’engage à ne pas revendiquer les biens du clergé nationalisés durant la période révolutionnaire, cette spoliation recevant sa compensation par le salaire que l’Etat assure au clergé qui devient fonctionnaire : prêtres et évêques sont reconnus comme agents publics de l’Etat. Les relations diplomatiques sont renouées entre Paris et Rome.
Bonaparte ne voulant pas revenir sur les principaux acquis de la Révolution, notamment l’égalité de tous les citoyens et la liberté totale des cultes, le régime concordataire est étendu à toutes les religions présentes à l’époque en France : en 1802 pour le culte protestant, en 1808 pour le culte israélite. Les consistoires protestants deviennent les interlocuteurs officiels de l’Etat pour ce culte. En ce qui concerne le culte israélite, le concordat s’instaure en plusieurs étapes qui aboutissent à la création de consistoires identiques à ceux du culte protestant. Les ministres de ces deux cultes sont également des fonctionnaires salariés par l’Etat. Le Concordat permet ainsi un régime de cultes publics que l’on appelle « cultes reconnus », donc de droit public.
En 1808, de manière unilatérale, le gouvernement français ajoute au concordat napoléonien une annexe dite des articles organiques – d’inspiration gallicane – qui ne cesseront d’être contestés par le Saint Siège jusqu’en 1905. Cette annexe renforce le contrôle de l’Etat sur les religions en limitant notamment leur liberté de s’organiser, de se concerter, de se réunir. L’Etat décide seul d’un grand nombre d’initiatives concernant les paroisses, les séminaires, la fondation d’établissements scolaires et hospitaliers, etc. Au plan matériel et financier tous les cultes se voient imposer la création de conseils d’administration et de gestion, organes qui transforment chaque communauté locale en établissement public du culte. Pour l’Eglise catholique ces conseils prennent le nom de fabrique[2]. Plus grave encore, l’Etat s’immisce dans la doctrine qui doit être conforme à la Déclaration des quatre articles de 1682. Le contrôle étatique devient identique à celui qui existait à l’époque monarchique. Ce régime, comme nous le verrons plus tard, demeure actuellement pour régir les cultes reconnus en Alsace Moselle.
[1] La présentation du candidat est suivie d’une négociation entre l’Etat et le Saint-Siège.
[2] Les fabriques existaient dans les paroisses catholiques sous l’Ancien Régime.
Entre 1903 et 1905 les incidents se sont multipliés entre la France et le Saint Siège : manifestations violentes en mai 1903 entre catholiques et socialistes au sujet de la liberté d’enseignement, visite en avril 1904 du président de la république au roi d’Italie[1], rappel à l’ordre par Rome de deux évêques favorables au gouvernement, loi du 5 juillet 1904 interdisant l’enseignement aux congrégations religieuses.
Devant les protestations du Pape auprès de l’ensemble des chancelleries européennes le gouvernement français rompt ses relations diplomatiques avec le Siège apostolique (30 juillet 1904). On sait aujourd’hui que ces évènements n’avaient pas pu constituer à eux seuls des éléments suffisamment graves pour occasionner la rupture entre Paris et Rome puis la loi de séparation : grâce à l’étude de documents non publiés, il est clair que le gouvernement français tentait alors exiger du pape Pie X, selon les anciens principes gallicans, une totale autonomie de décision [sans négociation] pour la nomination des évêques, ce qui fut refusé par le Saint Siège.
La fin des relations entre la France et le Siège apostolique rend le régime concordataire caduc : une loi de séparation est préparée entre 1904 et 1905. Malgré de fortes divergences qui transcendent le clivage gauche/droite, la loi est votée le 3 juillet 1905. Elle est promulguée le 9 décembre 1905. La nouvelle législation met fin à la notion de culte reconnu et transforme les religions en simples associations de droit privé. De plus l’article 4 organise le transfert des biens des fabriques, établissements publics du culte, à des associations cultuelles.
La loi de 1905 dénonce unilatéralement les engagements français relatifs au concordat napoléonien de 1801, qui réglementait les relations entre l’Eglise et l’Etat français. Elle réaffirme néanmoins la double garantie de la liberté de conscience et du libre exercice des cultes.
Article 1er : « La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes […] ».
Article 2 : « La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte […] ».
Par cette loi, l’État manifeste sa volonté de neutralité religieuse mais ne s’exonère pas totalement de ses responsabilités. Il veut garantir à chacun les moyens d’exercer librement sa religion, dans le respect d’autrui. C’est dans cet esprit que sont conservées les aumôneries de service public[2] qui existaient dans les milieux clos (établissements hospitaliers, pénitentiaires, militaires, internats scolaires) et, quelques décennies plus tard, des émissions religieuses sur les chaînes publiques de radio et de télévision.
L’article 4 de la loi institue des associations cultuelles dont l’objet exclusif est l’exercice du culte. Elles ne doivent que « subvenir aux frais, à l’entretien et à l’exercice public d’un culte » ce qui les autorise à recevoir le produit des quêtes et des collectes pour les frais du culte mais ne leur permet en aucun cas de percevoir de subventions de l’État, des départements ou des communes. Il leur est interdit de se livrer à des activités sociales, culturelles, éducatives ou commerciales qu’il faut confier à d’autres types d’associations qui demeurent à créer. Elles peuvent en revanche recevoir des dons et legs exonérés de droits de mutation. Les préfets sont seuls compétents pour accorder, pour une durée de cinq ans, le statut d’association cultuelle. Les litiges éventuels entre associations relèvent de la juridiction du Conseil d’Etat.
La loi de séparation a plusieurs conséquences majeures en matière financière et domaniale :
1. aucun ministre du culte n’est plus rémunéré par l’État alors que celui-ci s’était engagé à cette compensation, lors de la signature du concordat de 1801, en échange de l’abandon par l’Église de la revendication de ses biens saisis en 1790. L’Etat demeure en possession de tous ces biens spoliés lors de la Révolution.
2. L’Etat n’intervient plus dans la nomination des évêques.
3. Les associations cultuelles de droit privé ayant remplacé les conseils de fabrique, les établissements publics du culte sont supprimés.
4. L’État s’accorde le droit de dévolution des édifices du culte, à titre gratuit, aux associations cultuelles. Lesquelles sont chargées d’assurer les « réparations de toute nature, ainsi que des frais d’assurance et autres charges afférentes aux édifices et aux meubles les garnissant ». Les biens mobiliers ou immobiliers grevés d’une affectation caritative ou d’une affectation étrangère à l’exercice du culte[3] sont attribués aux établissements publics ou d’utilité publique, dont la destination est conforme à celle de ces biens.
5. L’État envisage de prolonger durant deux ans la mise à disposition gratuite des archevêchés et évêchés et, durant cinq ans celle des presbytères, des grands séminaires et de la faculté de théologie protestante.
6. La loi de séparation institue un inventaire général estimatif des biens mobiliers et immobiliers des établissements publics du culte avant que les associations cultuelles ne se voir attribuer que la partie des biens jugée nécessaire au culte, le restant demeurant la propriété de l’Etat.
7. Sur le plan de l’ordre public, toute célébration cultuelle est assimilée à une réunion publique et soumise à déclaration préalable.
La loi est rejetée par le Saint Siège[4] qui proteste contre la rupture unilatérale du concordat, condamne les nouvelles spoliations et refuse la constitution d’associations cultuelles, dont les statuts s’affirment comme incompatibles avec l’organisation hiérarchique catholique puisqu’elles ne respectent pas l’autorité de l’évêque dans son diocèse et du curé dans sa paroisse. Une partie du clergé français se déclare prêt à accepter la loi alors qu’une autre s’y oppose avec une grande radicalité. Les cultes protestant et israélite font bon accueil à une loi qui correspond à leur mode d’organisation traditionnel de type électif.
Dans ce contexte de refus, les inventaires amènent la France au bord de la guerre civile car la population s’y oppose et cela entraîne la mort de plusieurs manifestants. Clémenceau, devenu ministre de l’Intérieur en 1906, met fin à la querelle en invitant les préfets à suspendre les opérations dans la mesure où elles devraient se faire par la force. Mais la question primordiale demeure l’application de la loi de séparation sans aucune possibilité de former des associations cultuelles auxquelles sont censées être dévolus les édifices nécessaires à l’exercice du culte. Le gouvernement déclare que si la loi ne peut être appliquée d’ici décembre 1907, il utilisera la loi de 1881 sur les réunions publiques pour maintenir la possibilité d’un exercice légal des cultes. Mais le clergé refuse massivement de souscrire la déclaration préalable à chaque célébration prévue à l’article 25 de la loi. Cette déclaration est remplacée par une circulaire administrative du ministère de l’Intérieur (1er décembre 1906) par une déclaration annuelle.
Les associations cultuelles catholiques n’ayant pas été constituées, tous les bâtiments ecclésiastiques, évêchés, séminaires, presbytères sont progressivement mis sous séquestre. La loi du 2 janvier 1907 règle la dévolution de ces biens : l’État, les départements, les communes recouvrent à titre définitif la libre disposition des archevêchés, évêchés, presbytères et séminaires.
La possibilité de donner en jouissance des édifices affectés à l’exercice du culte à des associations loi 1901 ou à des ministres du culte déclarés est offerte également ce qui constitue une incitation indirecte au schisme. Le Saint Siège réagit immédiatement avec l’encyclique Une fois encore du 6 janvier 1907. Le gouvernement, manifestement surpris de la pugnacité des catholiques, supprime l’obligation de déclaration préalable pour les célébrations du culte et montre des signes d’apaisement : plus de 30.000 bâtiments sont mis gratuitement à la disposition des Églises, et les sonneries de cloches explicitement autorisées. D’une manière générale, la jurisprudence administrative légitime les manifestations publiques qui satisfont à des traditions et à des habitudes (convois de funérailles, processions, etc.). L’attitude d’apaisement se confirme avec la loi du 13 avril 1908 qui assimile les églises à des propriétés communales et prévoit l’organisation de mutuelles pour la prise en charge des retraites des personnels ecclésiastiques.
La Première Guerre Mondiale met les querelles religieuses en sourdine avec l’Union Sacrée. Une circulaire aux préfets, en date du 2 août 1914, demande que les congrégations catholiques, expulsées, soient désormais tolérées. Cela permet à de nombreux religieux de se porter volontaires pour participer à la défense de la patrie. La loi du 10 juillet 1920 décide d’honorer le souvenir de Jeanne d’Arc comme fête du patriotisme le second dimanche du mois de mai. A cette occasion le Saint Siège rétablit ses relations diplomatiques avec la France et un dialogue s’engage pour régler la question restée en suspens : comment inscrire légalement le culte catholique dans le droit français ?
En 1924 un compromis est élaboré qui donne finalement naissance à des associations cultuelles spécifiquement catholiques appelées associations diocésaines[5]. L’État concède à ces associations sui generis, placées sous l’autorité des évêques, le statut d’associations cultuelles ce qui entérine l’organisation de type épiscopal de l’Église catholique, considérée comme conforme à la loi. On peut ainsi sortir légalement du blocage provoqué par l’absence, depuis 1905, de création des associations cultuelles catholiques prévues par la loi. D’autre part, la Moselle et l’Alsace, à nouveau rattachées à la France en 1919, sont maintenues sous le régime concordataire qui était demeuré en vigueur depuis 1870, date de leur annexion à l’Allemagne[6].
Depuis lors des mesures sont venues compléter le régime de séparation : durant la Seconde Guerre Mondiale, la loi du 3 septembre 1940 abolit l’article 14 de la loi de 1901 interdisant l’enseignement aux congrégations non autorisées et la loi du 7 juillet 1904 interdisant l’enseignement aux membres des congrégations, même autorisées et prononçant la suppression des noviciats. Des mesures destinées à apaiser la guerre scolaire sont prises sous la Ve république (loi Debré 1959). Puis la protection sociale des ministres des cultes et des religieux est finalement assurée par un régime spécifique de Sécurité sociale (1978). Les plans d’urbanisme comportent désormais des emplacements destinés aux édifices religieux. Les collectivités territoriales peuvent consentir des baux emphytéotiques pour ces constructions. Des experts religieux, désignés par le chef de l’Etat, sont appelés à siéger au Comité national consultatif d’éthique. L’Etat a institué des rencontres régulières avec les responsables religieux.
Les réformes les plus récentes survenues dans le régime de séparation concernent plus particulièrement l’école. En 2000, l’article 30 de la loi, interdisant l’enseignement religieux pendant les heures de classe dans les écoles publiques a été abrogé par ordonnance. En 2003, une nouvelle loi concerne spécifiquement le port de signes religieux ostensibles dans les institutions publiques. D’autre part, le culte musulman, qui n’avait aucun organisme central de représentation comme les consistoires ou les associations diocésaines, se voit doté en 2003 d’un Conseil français du culte musulman qui devient l’interlocuteur officiel de l’Etat pour l’islam. En 2005 le projet d’une Fondation pour l’Islam de France chargée d’encadrer la construction des mosquées en France est finalement concrétisé par l’Etat et mis en place en 2016. Le fait que ces deux initiatives soient venues des pouvoirs publics montre que l’esprit gallican n’a jamais disparu dans notre pays, l’Etat s’estimant propre à intervenir dans les affaires religieuses.
Comme l’a écrit Gabriel Le Bras, juriste et sociologue des religions : « Il est des concordats orageux et des séparations amiables. » Après la loi de séparation l’Etat n’a pu ignorer le fait religieux comme exercice effectif, individuel et collectif, d’une liberté fondamentale proclamée à l’article premier de la loi, la liberté religieuse. Ce qui fait souvent problème dans notre pays c’est que le droit français des religions, composé de règles éparses découlant de sources très diverses, ne se présente pas sous une forme unique nettement codifiée. Des efforts sont actuellement réalisés de la part de l’Etat pour en redessiner les contours afin d’éviter le développement des contentieux : il est clair que l’arrivée en France de l’Islam, des mouvements religieux d’origine nord-américaine (sectes ou mouvements néo-chrétiens) a modifié considérablement les approches de la notion de culte, bouleversé le paysage religieux et obligé à créer ou à préciser les normes.
A cause de la participation de la France à la Communauté Européenne, l’avenir du droit français des cultes est également devenu très tributaire du droit européen des libertés et des convictions.
[1] Considéré par le Saint Siège comme un usurpateur depuis l’occupation de Rome en 1870 par les troupes italiennes et la confiscation des Etats pontificaux par l’Italie.
[2] Selon un régime quasi-concordataire, en tout cas juridiquement très proche du système des cultes reconnus.
[3] C’est le cas des écoles, dispensaires, cliniques et hôpitaux, etc. appartenant à l’Eglise.
[4] Encyclique Vehementer nos de Pie X au peuple français en date du 11 février 1906.
[5] Ce compromis qui a pris le nom de « modus vivendi » de 1924 ou « accord Briand-Cerretti » consiste en un échange de lettres officielles ; il est considéré comme un traité de droit international même s’il n’en a pas la forme juridique.
[6] Le régime politique allemand avait maintenu le concordat napoléonien en y apportant tout juste quelques modifications mineures.
La laïcité à l’école
A côté d’un courant dominant au laïcisme athée et militant se place un courant minoritaire qu’on pourrait qualifier de spiritualiste car il souhaiterait une laïcité plus ouverte et notamment que la morale laïque enseignée dans les écoles soit fondée sur des principes religieux fédérateurs hors de tout dogme, donc de toute Eglise. Ce courant a pour porte-parole Jules Simon auteur d’un livre appelé « La religion naturelle » et de plusieurs autres sur la liberté de conscience en particulier. Mais il ne parvient pas à s’imposer par rapport à Jules Ferry, représentant du laïcisme athée, très marqué, comme Gambetta, par le positivisme qui veut « organiser l’humanité sans Dieu ni rois », programme qui sera effectivement mis en route après les élections de 1877 favorables aux républicains.
C’est donc Jules Ferry qui sera le principal artisan de la laïcisation de l’école jusqu’à sa chute en 1889. De Gambetta à Ferry un cap important a été franchi : le premier souhaitait l’indépendance de l’Etat par rapport aux religions ; le second prône le rôle quasi-exclusif de l’État comme éducateur des citoyens. Les années passant, au fil des discours du ministre, on n’est pas loin de voir poindre une manière assez totalitaire de concevoir l’Etat comme l’unique dispensateur de l’éducation (ce qui sera paradoxalement pratiqué plus tard dans les dictatures fascistes). Gambetta comme Ferry ne croient pas en l’avenir des religions face au développement de la science : ils sont persuadés qu’en défendant la laïcité ils préparent l’avenir d’une humanité débarrassée des « superstitions du passé » se situant ainsi dans la droite ligne des révolutionnaires de 93.
Un troisième courant républicain se situe encore différemment : il s’agit de ceux qui, sans se définir comme athées ou comme spiritualistes, se voient chargés non pas d’une lutte antichrétienne mais seulement anticléricale : faire disparaître les religions établies du domaine public par des moyens légaux, sans toutefois les persécuter, pour les remplacer graduellement par une religion humaniste, celle des droits de l’homme. Leur représentant est un protestant libéral, Ferdinand Buisson, qui fut un temps collaborateur proche de Jules Ferry. Ces républicains libéraux, pour la plupart juristes, sont avant tout motivés par la volonté, toujours réaffirmée du respect du droit et de la liberté de conscience.
Ces trois courants existent toujours aujourd’hui dans la grande famille laïque républicaine.
Il ne faudrait pas omettre, bien entendu, à gauche de l’échiquier politique, le grand courant radical et socialiste qui considère, quant à lui, la laïcité comme un outil privilégié de déchristianisation militante. Ce courant très virulent, matérialiste athée, s’appuie dans le pays sur la Libre Pensée et la Franc-maçonnerie. Il aura son heure de gloire au début du XXe siècle.
Les premiers tenants de la laïcité prétendaient vouloir établir une simple neutralité religieuse dans l’école, d’où les cultes seraient bannis, mais surtout pas qu’on les oblige à la neutralité philosophique et politique, ceci afin de pouvoir transmettre aux enfants leurs propres choix. Il fallut de très longues et âpres discussions pour que soit admis le principe de neutralité générale. Finalement les enseignants furent tenus par les premières lois laïques, sous peine de renvoi, à une très stricte neutralité religieuse, philosophique et politique dans l’exercice de leurs fonctions, ce qui sous-entendait l’abandon de la militance antichrétienne, au moins en théorie, à l’intérieur de l’école laïque.
De même fallait-il autoriser ou non l’enseignement religieux dans les écoles, c’est-à-dire laisser entrer dans les classes l’ennemi juré, le prêtre ? Le débat dura des années pour aboutir au principe d’interdiction totale de tout enseignement religieux à l’intérieur des locaux scolaires[1].
L’autre grand débat majeur des débuts de l’école laïque était celui de l’enseignement de la morale. Pour Jules Ferry il devait s’agir d’une morale d’Etat, c’est-à-dire d’un enseignement qui forme des citoyens respectueux de l’Etat et soient de bons patriotes. Les fondements étaient ceux de la morale naturelle toutefois débarrassée de toute référence à un Créateur, à une Eglise, à des dogmes, bannissant les revendications du courant spiritualiste puisque le chapitre sur « les devoirs envers Dieu » finit par disparaître totalement des manuels de morale républicaine en l’espace d’une génération. Ce qui sous-entendait qu’il ne saurait y avoir, comme le souhaitait Ferdinand Buisson, une « religion laïque » en relation avec une quelconque divinité ou une autorité transcendante. La morale laïque se définissait elle-même comme athée. Il y eut des républicains libéraux, pour la plupart venus du protestantisme, pour dénoncer cette vision qui portait à « enseigner une morale sèche qui ne saisit pas l’âme dans ses profondeurs » mais ils ne furent ni écoutés ni suivis au plan politique.
De fait, dès l’apparition des premières lois sur l’école publique, la laïcité qui s’impose est celle du courant athée : même si les spiritualistes[2] se sont longtemps battus pour que l’école publique prône une morale évangélique débarrassée des dogmes et des hiérarchies religieuses qui enseigne les valeurs chrétiennes épurées des développements théologiques issues des Eglises[3] c’est le courant laïc matérialiste et athée qui l’emporta.
[1] Qui n’a été aboli que tout récemment…
[2] La plupart d’origine protestante libérale, ils prônaient un évangélisme sans culte ni doctrine.
[3] Ferdinand Buisson évoquait comme modèle « la morale protestante, prise à une hauteur et à une pureté qui est la pureté évangélique et se confond avec elle en constituant l’idéal humain ».
Après la première génération des militants laïcs tels Gambetta, Ferry, Buisson apparaît vers les années 1890, une seconde génération. Les premiers avaient longtemps rongé leur frein sous le Second Empire et peiné à faire reconnaître leurs idées dans les débuts de la IIIe République. La seconde génération est celle que les historiens nomment les « républicains de gouvernement » car, après leur élection, ils seront les artisans de la mise en œuvre juridique des idées de la première génération. Au sein de cette seconde génération se trouve Louis Barthou dont la carrière sera extrêmement longue. Il est le principal artisan des lois de laïcité à l’école.
Le pape Léon XIII ayant prôné le ralliement des catholiques au régime républicain, Barthou se pose aussitôt en garant de la laïcité républicaine : il voit dans l’initiative du pape une tentative de récupération du régime républicain par l’Eglise pour reprendre l’avantage politique et obtenir garanties et concessions. Deux courants se heurtent alors : celui d’une laïcité ouverte invitant le centre et la droite à accepter et rallier le régime ; celui d’une laïcité stricte invitant les républicains à ne rien lâcher de leurs convictions. Les choses se corsent avec l’Affaire Dreyfus qui divise encore davantage l’échiquier politique et durcit les positions des uns et des autres. Ceci s’accompagne d’un fort regain d’anticléricalisme.
Malgré l’invitation du pape, la droite et le centre ayant dans leur majorité refusé de se rallier au régime, notamment à cause des catholiques monarchistes intransigeants, les républicains se voient dans l’obligation, pour garder la majorité au Parlement, de s’allier à la gauche radicale et socialiste conduite par Waldeck-Rousseau, ce qui entraîne, dès 1899, un durcissement de la politique anticléricale.
L’échec du ralliement cause une grande déception aux partisans d’une laïcité ouverte et Barthou, dans un discours de 1902, pourra dire : « les ralliés étaient des hommes perfides qui n’ont tenté d’entrer dans la République que pour en chasser l’esprit républicain. Le ralliement n’était qu’une ruse, une tactique de guerre inspirée par l’habile diplomatie du cléricalisme ». Dès lors l’anticléricalisme de la gauche radicale et socialiste va se déchaîner dans des lois qui restent connues sous le nom de « lois anti-congréganistes » (1901-1904) visant à éradiquer le clergé du monde scolaire qui est alors pratiquement entièrement aux mains d’Instituts religieux. L’artisan principal de cette politique est Emile Combes. Les congrégations sont bannies de France et les religieux doivent soit se séculariser soit émigrer comme aux plus mauvais jours de la Révolution. Pour installer durablement l’école laïque on se débarrasse de toute forme de concurrence…
Il faudra attendre la reprise des relations diplomatiques entre la France et le Saint-Siège (1921) puis les assouplissements du régime de Vichy, les mesures d’apaisement de la IVe puis de la Ve République pour que la querelle scolaire finisse par se calmer. Elle resurgit néanmoins régulièrement depuis lors à l’occasion de toute décision politique controversée.
Aujourd’hui encore l’Ecole publique est marquée par l’héritage de tous ces courants et de toutes ces controverses qui marquèrent la naissance de notre Ecole laïque à la fin du XIXe siècle. Les clivages de cette époque se retrouvent encore aujourd’hui dans les partis de gauche et les mouvements de laïcité militante.
Liberté religieuse et régime des cultes en droit français dans le monde de l’éducation.
Sources législatives et réglementaires
1. Arrêt du Conseil d’Etat du 14 avril 1995 (Consistoire Israélite contre Ministère Education Nationale) : Des élèves israélites et leurs familles demandaient que soient accordées des autorisations d’absence pour participer à des offices religieux spécifiques à leur culte certains jours de semaine et durant des horaires d’enseignement. Toutefois les élèves avaient mis en place un système pour « rattraper » leurs cours.
« Les dispositions relatives à l’obligation d’assiduité de l’article 3-5 du décret du 30 août 1985 n’ont pas pour objet et ne sauraient légalement avoir pour effet d’interdire aux élèves qui en font la demande de bénéficier des autorisations d’absence nécessaires à l’exercice d’un culte ou à la célébration d’une fête religieuse dans ce cas où ces absences sont compatibles avec l’accomplissement des tâches inhérentes à leurs études et avec le respect de l’ordre public dans l’établissement. Dès lors, elles ne portent pas atteinte à la liberté religieuse garantie aux élèves par la Loi. »
Du moment où les élèves ne sont pas substantiellement gênés dans leurs études et que leur absence ne perturbe personne, le Conseil d’Etat ne pouvait que donner raison à ces élèves et à leurs familles. Requête acceptée.
2. Arrêt du Conseil d’Etat du 14 avril 1995 dit « arrêt Koen » : même jurisprudence que l’autre, du même jour, mais avec un élément supplémentaire. Le cas de ces élèves israélites avait été disjoint des autres car ils avaient demandé une dispense de cours permanente pour la journée du samedi. Il s’agissait donc d’une absence systématique, un jour par semaine ce qui, de fait, pouvait être dommageable à leur scolarité, des cours importants ayant lieu le samedi matin. Ce qui, aux dires des professeurs, désorganisait l’enseignement pour toute la classe.
Il est précisé dans les attendus de l’arrêt qu’une dispense systématique de cours au motif d’une activité religieuse pourrait éventuellement justifier un refus d’inscrire l’élève dans l’établissement en début de scolarité mais non l’empêcher de suivre les prescriptions de son culte dès lors qu’il est déjà inscrit dans l’établissement.
Dans ce cas-là les élèves sont substantiellement entravés dans leurs études par une absence régulière et systématique chaque samedi matin, absence qui peut effectivement affecter leur scolarité. Cette absence peut également modifier la teneur du cours, perturber professeurs et élèves. Le Conseil d’Etat reçut tout de même leur requête tout en spécifiant que si d’autres cas du même genre se représentaient, l’établissement scolaire pouvait refuser l’inscription à de tels élèves en début d’année scolaire. Requête acceptée.
1. Loi n° 89-486 du 10 juillet 1986 (ainsi que ses décrets d’application du 31/12/90 et du 18/02/91) : elle reconnaît aux élèves des collèges et lycées les libertés d’information et d’expression, d’association et de réunion.
Cette loi, dite « Loi Jospin » est novatrice par rapport à l’arsenal législatif précédent en ce qu’elle inclut la possibilité pour des élèves mineurs de prendre l’initiative de se grouper plus ou moins formellement et de constituer des associations, de se réunir pour quelque motif que ce soit, y compris pour des raisons culturelles ou religieuses hormis les restrictions prévues par la Loi. C’est une des raisons pour lesquelles l’autorisation des parents ne se justifie plus pour des activités d’aumônerie qui tombent sous le coup de cette liberté accordée aux élèves.
2. Code de l’éducation (article 141-5-1) : concerne le cas du port « de signes ou tenues par lesquels l’élève manifeste ostensiblement une appartenance religieuse » (dite loi du foulard).
Il y est rappelé que le règlement intérieur ne doit pas envisager de procédure disciplinaire sans un dialogue préalable avec l’intéressé lui-même et non avec les parents. Là encore, dans le droit fil de la loi précédente, on met l’accent sur l’autonomie de l’adolescent en le responsabilisant sur ses choix religieux personnels.
3. Loi n°2004-228 du 15 mars 2004 : elle fixe l’interprétation authentique de l’article dont il est question dans le paragraphe précédent à savoir ce qu’est légalement un signe ostensible… Le législateur ne vise pas le signe visible c’est-à-dire que l’on peut remarquer à vue d’œil mais celui qui s’impose immédiatement au regard comme déterminant une appartenance religieuse c’est-à-dire qui « témoigne de la mise en valeur excessive et indiscrète » et qui renvoie aussitôt à une attitude de provocation.
Il faut donc, pour sévir, avoir repéré chez l’élève un comportement manifestement provocateur par le biais d’attitudes exagérées, excentriques, portant atteinte à la discrétion du simple signe « visible ». Il n’y a pas de délit si le port du signe se fait sans ces manifestations excessives.
4. Conseil d’Etat (avis n° 346 du 27 novembre 1989 – consultation demandée par le Ministère de l’Education Nationale) : le ministère voulait savoir s’il ne valait pas mieux bannir totalement tout signe d’appartenance religieuse à l’école pour éviter que le communautarisme ne pénètre le monde de l’éducation. L’avis délibéré en assemblée générale réunie en séance plénière dénote l’importance du sujet.
Le Conseil d’Etat a jugé selon la tradition jurisprudentielle du XIXème siècle (et à l’époque ou la France était liée au Saint-Siège par le régime des accords concordataires) à savoir : dans la mesure où un signe d’appartenance religieuse ne porte pas atteinte à l’ordre public il ne saurait être prohibé.
Le Conseil d’Etat a confirmé la légalité de la loi de 2004. Toutes les requêtes déposées depuis lors, notamment par le culte musulman, pour faire abolir la loi sur le port des insignes religieux à l’école ont été rejetées systématiquement.
1. Code pénal (article 225) punissant la DISCRIMINATION : une discrimination est constituée dès lors qu’est opérée une distinction sur des personnes physiques ou morales en raison notamment de leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou supposée, à une religion déterminée. Qu’il s’agisse d’une distinction vis-à-vis d’un seul membre ou de certains membres de ladite personne morale.
La discrimination consiste notamment à :
– refuser la fourniture d’un service ou d’un bien (ou de le subordonner à une condition fondée sur un élément manifestement discriminatoire)
– à entraver l’exercice normal d’une activité.
Le refus d’un stage, d’une session, de la participation à une manifestation quelconque peut être concerné par cet article si le refus porte sur une distinction d’ordre religieux.
2. Code pénal (article 432) punissant L’ABUS D’AUTORITÉ : « la discrimination définie à l’article 225, commise à l’égard d’une personne physique ou morale par une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions ou de sa mission, est punie (loi n°2004-204 du 9 mars 2004) de cinq ans d’emprisonnement et de 75.000 € d’amende lorsqu’elle consiste à refuser le bénéfice d’un droit accordé par la loi ».
Le législateur a tenu à préciser que l’appartenance ou la non-appartenance pouvait être « vraie ou supposée ». C’est une façon de qualifier la discrimination positivement (ostracisme à l’égard ou d’une personne ou d’un groupe) ou négativement (diffamation). On notera qu’est constituée une circonstance aggravante quand l’abus d’autorité est commis par une personne dépositaire d’une mission de service public dans l’exercice de sa charge.
3. Loi n°90-615 du 13 juillet 1990 dite Loi Gayssot (DISCRIMINATION) : « toute discrimination fondée sur l’appartenance ou la non-appartenance à une ethnie, une race ou une religion est interdite. L’Etat assure le respect de ce principe dans le cadre des lois en vigueur ».
La dernière phrase de ce premier article de la loi prévoit donc que c’est à l’Etat de faire assurer le respect de ce principe. C’est ce qui a motivé la création de la HALDE (voir paragraphe suivant).
4. Loi n°2004-1486 du 30 décembre 2004 portant création de la HALDE (Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité) : cette autorité administrative est compétente pour connaître toute forme de discrimination directe ou indirecte prohibée par la Loi.
La HALDE peut être saisie directement par toute personne physique ou morale, de son propre mouvement ou par le truchement d’un parlementaire ou d’un médiateur de la République. Elle a été saisie très souvent depuis sa création pour des affaires de discrimination religieuse. C’est elle qui transmet au Parquet les plaintes dès lors qu’est constitué le délit ou le crime.
5. Code pénal (article 226) au sujet de la DISCRIMINATION PAR FICHIER : le fait de mettre en mémoire ou de conserver et à fortiori de diffuser des informations basées notamment sur une appartenance religieuse sans que l’intéressé lui-même en ait été informé et ait donné son accord explicite est interdit.
Le fait de constituer des fichiers est toujours très dangereux, surtout en matière religieuse car le fait de “ficher” fixe une liberté de conscience qui est par essence fluctuante. Il est donc forcément pour une part porteur d’erreurs ou d’approximations qui peuvent porter préjudice aux individus. De plus aucune discrétion n’est garantie dès lors que les données sont accessibles à des personnels administratifs et peuvent être connues de personnes physiques ou morales non obligées par le devoir de réserve ou le secret professionnel (jurisprudence).
C’est pourquoi le législateur a voulu que l’incrimination soit considérée comme large puisqu’elle vise une apparition des données en question de façon directe mais aussi indirecte. De nombreuses administrations ont été amenées à détruire des fichiers sur demande de la CNIL par suite de requêtes déposées par des citoyens au motif de l’incertitude dans laquelle se trouve l’intéressé sur la façon dont les données seront utilisées et à qui elles seront communiquées.
1. Loi du 9 décembre 1905 (articles 31 à 33) : elle garantit les libertés individuelles et collectives des croyants dont le libre exercice du culte est protégé contre toute forme d’ingérence ou d’intervention externe au culte (qu’il s’agisse d’une perturbation ou d’une tentative de contrôle) hormis les cas prévus par la loi (hygiène publique, sécurité publique ou trouble à l’ordre public).
Cette loi protège aussi les non-croyants qu’on ne saurait contraindre à adhérer à une religion ou à participer aux exercices d’un culte.
L’article 25 rappelle en outre que la célébration du culte est totalement libre. Elle se tient sans jamais avoir besoin de requérir une autorisation ou une déclaration préalable hormis les cas prévus par la loi (voir plus haut). La seule autorité légitime pour régler l’exercice du culte est l’autorité religieuse légitime reconnue par la Loi (pour les catholiques l’Ordinaire compétent).
2. Jugement du tribunal correctionnel de Bar le Duc (2 juin 1982) : deux individus étaient intervenus sans autorisation au cours d’un culte pour prendre à partie l’officiant et contester sa manière de célébrer. Le tribunal a jugé que le délit de l’article 31 de la loi précitée était constitué même si seul le célébrant est troublé.
Le délit est établi, que l’intrusion, l’ingérence ou l’intervention extérieure concerne le seul responsable du culte ou qu’il concerne une partie ou toute l’assemblée. Le simple comportement venant à troubler le libre exercice de l’office suffit à constituer le délit.
3. Loi n° 1114 du 25 décembre 1942 : depuis le « modus vivendi » de 1924 entre le Saint-Siège et la République Française (Accords Briand-Gasparri) il existe une reconnaissance légale de la personnalité juridique de l’Eglise à travers les diocèses. A partir de la loi de 1942 ceux-ci sont constitués en personnes morales par le truchement d’une Association Cultuelle par diocèse dont l’évêque est le président. Seule cette personne morale peut ester en justice et être considérée par la loi comme représentative de l’Eglise locale.
La hiérarchie propre à l’Eglise catholique est donc reconnue et garantie par la Loi qui a fixé quels sont ses interlocuteurs : l’évêque et ses représentants légitimement nommés. Ainsi en est-il pour les autres cultes. La loi reconnaît le Consistoire protestant, le Consistoire israélite et le Conseil National du Culte Musulman qui sont donc les seuls partenaires légaux de l’Etat.
4. Loi du 9 décembre 1905 (articles 26 et 29) : règlemente l’utilisation des lieux dévolus au culte en interdisant leur utilisation pour d’autres usages (politiques, syndicaux ou autres) que ceux des exercices du culte.
La notion de culte est, en droit français, à prendre au sens large : la catéchèse, les réunions (quel que soit leur motif), une répétition de chorale, un pèlerinage, etc. font partie du culte. Toute activité proposée ou instituée par une aumônerie fait partie intégrante de la liberté de culte garantie par la loi. Il ne faut donc jamais restreindre le culte à la seule activité liturgique.
5. Loi du 29 juillet 1881 : elle garantit à tout groupement religieux le droit de diffuser ses opinions par la distribution d’ouvrages, de revues ou de publicités diverses (prospectus, tracts, affichage).
Dans la mesure où il ne s’agit pas d’une activité commerciale cette loi garantit aux cultes de pouvoir assurer librement une diffusion large (et par des moyens les plus variés dans lesquels il faut compter désormais les moyens informatiques) de toute information religieuse qu’ils jugent à propos de faire connaître publiquement à la seule restriction que les informations données ne contiennent pas de propos prohibés par la loi.