Édito de Mgr Luc Crepy, évêque de Versailles et Président du Conseil de prévention et de lutte contre la pédophilie de la CEF à propos du Documents Episcopat : lutter contre la pédophilie, fonder une pastorale responsable (n° 7/2020 ).

En apprenant à écouter les personnes victimes, à entendre leurs souffrances et leurs cris réclamant justice et dénonçant le poids d’une institution fautive et aveugle devant ses crimes, l’Église tout entière, avec le pape François, a pris conscience, par étapes, de la gravité de la pédocriminalité et de l’urgente nécessité de mettre en œuvre les moyens concrets et efficaces pour lutter contre ces actes terribles et leurs conséquences, pour sanctionner les auteurs de violences et d’agressions sexuelles, et pour poser les fondements d’une vigilance sans faille. Ici aussi, le chemin est long à tracer. Il est parfois sinueux et non dépourvu d’ambiguïté, mais s’il doit encore se poursuivre d’années en années, les conditions sont maintenant posées fermement dans l’Église pour que celle-ci devienne – modestement mais sûrement – la « maison sûre » à laquelle le pape François travaille dès le début de son pontificat, à la suite du pape Benoît XVI.

En mai 2016, la présidence de la Conférence des évêques de France me demande de prendre la responsabilité de la Cellule permanente de lutte contre la pédophilie : lourde tâche pour un évêque en poste depuis seulement un an, lourde tâche pour un moraliste qui entrevoit la rude complexité des situations, lourde tâche, tout simplement, pour un homme qui n’a pas encore eu l’occasion de rencontrer de personnes victimes de telles agressions, si terribles. Sans vouloir trop personnaliser ces propos introductifs, il me semble que le chemin parcouru depuis ces cinq dernières années rejoint, par de nombreux aspects, celui de mes confrères évêques, comme celui de bien des prêtres ou de laïcs engagés diversement dans l’Église.

C’est cet itinéraire, long et laborieux, mais décisif et irrévocable, que cherche à retracer Documents Épiscopat en offrant aux lecteurs des textes-clés du Magistère, des témoignages forts de personnes victimes, des réflexions de théologiens, et d’autres encore qui peuvent à la fois éclairer la conscience de chacun mais aussi donner des repères pour les acteurs des différents lieux de pastorale tournés vers les enfants et les jeunes.

Si, certes, la question des violences et agressions sexuelles sur mineurs est une composante du mal qui traverse la société à tous niveaux, et plus violemment dans ses régions les plus intimes comme la famille, la pédocriminalité dans l’Église redouble la violence commise, car elle frappe à la fois la personne dans son humanité mais aussi dans sa foi. Face à cet abus ainsi double, humain et spirituel, la réponse de l’Église ne peut se réduire à en appeler au seul exercice de la justice civile, aussi nécessaire soit-il, mais elle doit procéder à des mises en œuvre nouvelles au sein de la justice ecclésiale – canonique – et prendre des mesures spécifiques, en particulier quand il s’agit d’un clerc ou d’un religieux(-se), auteur de ces actes graves. Ceci implique une réforme – déjà commencée – du droit de l’Église mais également des mentalités ; réforme qui convoque les théologiens à approfondir les questions d’autorité, de pouvoir et, en un mot, de toute-puissance dans la vie ecclésiale. C’est aussi une des perspectives ouvertes dans le présent ouvrage, permettant ainsi de percevoir combien la crise profonde, qu’a connue l’Église avec les révélations des actes pédocriminels, invite à penser à frais nouveaux certains fonctionnements ecclésiologiques et à promouvoir une Église plus synodale. La lutte contre les violences et les abus implique bien une conversion permanente de tous dans la vie ecclésiale ordinaire comme dans les dimensions institutionnelles au service, avant tout, du respect des personnes, en conformité avec les exigences de l’Évangile.

Ce premier opus de Documents Épiscopat, consacré à la violence sexuelle sur mineurs sera suivi d’un second volume, qui paraîtra dans les prochains mois [NDLR. année 2021]. Il cherchera à mettre en lumière les expériences récentes et s’attachera à rendre visible la dynamique de conversion de l’Église ainsi que les événements et expériences qui nous engagent résolument dans une culture pro-active de la bientraitance.

 

Ed. Secrétariat général de la Conférence de évêques de France, Septembre 21, 164 p., 8€