A l’occasion du voyage du pape en Suède à Malmö et à Lund le 31 octobre 2016 pour les 500 ans de la Réforme luthérienne, nous avons demandé à des catholiques francophones de la CCF de Stockholm ce que la visite du Pape pouvait signifier pour elles et de nous dire comment le dialogue œcuménique était vécu entre catholiques et luthériens en Suède.
Voici les témoignages de Jeanne, d’Anne-France et d’Orietta:
– Quelle importance attribuez-vous à la visite du pape pour votre vie de foi et celle de l’Eglise catholique en Suède ?
Jeanne : C’est une bénédiction que sa venue, mais attention, il vient en tant qu’invité de l’Eglise mondiale luthérienne, une fédération, je crois. C’est un pas magnifique des deux côtés. C’est une grâce pour nous les catholiques de Suède que la cérémonie du jubilé de la Réforme ait lieu en Suède et non pas ailleurs. Que le dialogue catholiques-luthériens me concerne, c’est vrai. C’est une des caractéristiques de notre foyer puisque mon mari est suédois et luthérien et que je suis catholique. Le prêtre qui nous a mariés en 1992 a souligné que nous devions faire attention à ce qui nous unit. Y prendre appui. Réalité que mon mari me rappelle souvent, ma tentation étant de faire exactement le contraire, le penchant pharisien par “excellence”. Cela dit, l’été, nous avons l’occasion d’aller en famille les dimanches à la paroisse locale de l’Église suédoise proche de notre lieu de vacances. Là, on y est accueilli comme du bon pain. Même si année après année, il me faut me forcer pour y aller, me faire mort à moi-même. Je le fais par conjugalité. Et j’ accueille Jésus au milieu d’une liturgie proche de la liturgie catholique mais qui est autre. Nous y ressourçons notre identité chrétienne. Notre identité d’époux mariés devant le Christ, avec le Christ.
Anne-France : C’est un événement que le Pape vienne en Suède pour le 500ème anniversaire de la Réforme! Pour nous catholiques car nous avons vraiment ce désir, ce rêve de l’unité de l’Eglise un jour; par contre, en ce qui concerne les Suédois, ils sont luthériens car c’est leur identité nationale mais très peu sont pratiquants et je ne suis pas sûre que la visite du Pape les intéresse, la presse n’en parle pas visiblement…
– Avez-vous des échanges sur la religion avec les luthériens que vous côtoyez ? Quel est l’impact sur votre foi catholique ?
Jeanne : Nous appartenons, luthériens et catholiques, à la même religion: le christianisme, mais en revanche nous avons deux confessions distinctes dont le point d’achoppement, si je puis dire, n’est en réalité que la question théologique concernant l’Eucharistie. Pour les uns, il s’agit d’une consubstantiation et pour les autres d’une transsubstantiation. Allez interroger n’importe quel quidam catholique si il sait faire la distinction et ce qu’il croit en réalité lorsqu’il va communier! On serait bien surpris, je crois.
Ceci dit, le dialogue interconfessionnel se complique à partir du moment où il n’y a pas de magistère chez les protestants, a fortiori, chez les luthériens et que chacun y va de son interprétation, ce qui menace la convergence. Maintenant, en Suède, les décisions pastorales de l’Eglise luthérienne évangélique des dernières années ont eu pour conséquence de menacer le dialogue de nos deux églises. On y reconnaîtra la question des femmes prêtres et évêques, du mariage des homosexuels, des pasteurs vivant ouvertement leur homosexualité, les hommes comme les femmes. Tout ceci contribue à ce que nombre de luthériens suédois ne s’y retrouvent plus. Mais de là à franchir le pas vers une autre Eglise que la leur reste très compliqué. Luther reste leur grand “Saint” si je puis me permettre. Difficile de lui tourner le dos, même si historiquement, la Réforme a été imposée par “pure” raison politique et financière de façon violente à l’égard du peuple. Mais cela, la mémoire collective n’y a pas accès. En revanche, ce que les Suédois ont en mémoire, c’est le pouvoir autoritaire d’une Eglise d’Etat qui l’était encore jusqu’en l’an 2000, année de sa séparation d’avec l’Etat. Au XIXème siècle, un tiers des émigrants suédois vers les Etats-Unis se composait de personnes fuyant l’Eglise ultra autoritaire. Aujourd’hui, partager sa foi reste tabou. La foi est quelque chose de privé. Pour la plupart des gens, croire est “honteux”, pour certains, ce serait comme un péché contre la raison de dire que l’on croit en Dieu. Cependant tendance au totalitarisme de la pensée unique n’est pas uniquement réservée à la Suède.
D’autre part, je voudrais préciser que si moi, catholique, j’accueille le Christ dans une église luthérienne, je prends conscience que je suis pleine de préjugés envers l’autre église et que c’est le Christ qui m’accueille, en fait. Rappelons-nous ce que Jésus répond à ses apôtres alors qu’ils dénoncent d’autres groupes guérissant en son nom (Marc 9, 38-40). Les questions de morale sont une conséquence liée à la loi de Jésus, elles viennent en second. C’est important mais c’est secondaire. Jésus n’avait pas de répugnance à soigner les lépreux qui croyaient en Lui. Je ne souhaite pas blesser. La lèpre de l’inconduite de l’autre nous renvoie à notre lèpre intérieure; je ne dois pas pactiser avec le mal mais je ne dois pas non plus juger mon frère. Si j’ai bien compris le catéchisme de cette année de la Miséricorde, alors mon devoir de chrétien, a fortiori de catholique, est d’aimer mon frère quoiqu’il fasse. Et qui sinon mon frère chrétien? C’est vrai qu’il est toujours plus difficile de faire la paix avec nos plus proches, mais c’est là où Jésus nous attend, je pense. Et puis sortons de notre arrogance. Restons petits et nous pourrons alors être cœur à cœur, côte à côte, dans l’attente de l’époux, qui doit trouver la foi sur terre à son retour! Merci Seigneur.
Orietta : Je suis catholique mais fréquente aussi l’église protestante. J’ai des amis pasteurs protestants, et j’ai une église protestante près de chez moi ou j’aime bien aller m’y recueillir. Les prêtres de l’église savent que je suis catholique et ils sont très gentils avec moi. D’ailleurs, depuis que j’ai ces amis, les contacts pour trouver des locaux pour les groupes de catéchisme s’est résolu. Le pasteurs protestants sont impressionnés de voir notre engagement auprès des enfants. Tout cela renforce ma foi catholique même si j’admire certains aspects des protestants: les pasteurs peuvent se marier, le divorce n’est pas un péché, les homosexuels sont aussi aimés par Jésus et acceptés au sein de l’Eglise, les hommes et les femmes sont égaux …
Mon mari est suédois, il est né luthérien et croit en Dieu mais ne pratique pas sa religion comme la plupart des Suédois, alors je n’ai eu aucun problème à élever notre fille dans la foi catholique étant donné qu’il n’avait pas d’avis sur la question. Il trouve que les discussions dans les groupes de caté sont bien et l’aumônerie et il est content que notre fille ait pu avoir cela. Les jeunes Suédois n’ont pas ce type de discussion, et ils ne se préoccupent pas de religion.
Pour finir, je voudrais vous dire qu’on ne devrait pas être séparés catholiques et protestants. Je voudrais que le Pape fasse un rapprochement en ce sens.
– Participerez-vous aux événements liés à la visite du pape et si oui comment ?
Anne-France: Pour ma part, je ne participerai pas au rassemblement œcuménique du 31 octobre car je ne parle pas suédois. Cela m’aurait intéressée pourtant d’entendre tous ces témoignages! Par contre je suis ravie d’assister à la messe du 1er novembre. Quelle chance que le Pape ait accepté de rester pour célébrer la Toussaint avec nous! Les catholiques sont vraiment minoritaires en Suède et beaucoup sont des étrangers, expatriés comme nous. Le curé de la paroisse Sankta Eugenia où je vais à la messe en anglais le dimanche soir nous invitait à ne pas manquer cette occasion rare! Tous les catholiques de Suède sont vivement conviés à y participer et des départs en car de nuit sont organisés. Pour nous, départ de Stockholm à 22h la veille pour arriver à 6h du matin à Malmö et passer avant toutes les consignes de sécurité qui vont être draconiennes! Il faut être motivé, en plus le jour de la Toussaint n’est pas férié en Suède, mais je le suis à fond! Mon mari m’avait emmenée à Rome l’année dernière pour la première fois de ma vie, mais le pape était à Cuba, j’étais trop déçue! Alors pas question de manquer cette opportunité, d’autant que le Pape François s’est encore peu (ou pas) déplacé en Europe. J’espère donc que nous serons nombreux pour lui montrer combien nous avons besoin de lui, de son soutien, de ses encouragements, de ses bénédictions!
Jeanne : Nos enfants nous suivront à Malmö, mon mari Tomas et moi, lundi 31 octobre pour la célébration du jubilé dans le stade Malmö Arena et le mardi 1er novembre à la messe, célébrée par le Pape Francois, dans le stade Swedbank à Malmö également.
Lire aussi l’interview du père Pascal-René Lung (op), vicaire général de l’Eglise catholique de Suède et prêtre responsable de la CCF de Stockholm.
Lire le discours du pape François à Malmö.
Le 1er novembre, Anne-France Radot était à la Malmö Arena et nous partage ces photos :