CR Mortaza Behboudi

Camp de Moria, Lesbos, Grèce
CR Mortaza Behboudi

 

Témoignage de Bénédicte Fleury, membre de la CCF d’Athènes, en réponse à l’interview de Laurence Monroe, réalisatrice du documentaire “Moria, au delà de l’enfer” au sujet du camp de migrants de Lesbos, en Grèce.

 

Bénédicte Fleury est membre de la CCF d’Athènes (Grèce) et écrivain, sous le nom de Bénédicte F. Parry. Droit réservé.

Bénédicte Fleury, membre de la Communauté Catholique Francophone d’Athènes (Grèce), est engagée en catéchèse et au JRS (Service Jésuite des Réfugiés). Ecrivain, elle publie sous le nom de Bénédicte F. Parry.

Lesbos, la honte de l’Europe. C’est le titre du livre publié au mois de janvier 2020 par Jean Ziegler, vice-président du comité consultatif du Conseil des droits de l’homme pour les Nations Unies.

Ce qui se passe aux frontières de l’Europe n’est plus un secret pour personne. Des titres similaires font régulièrement la une de nos journaux depuis 2015. Si j’en crois l’interview de Laurence Monroe, son film vient ajouter encore un peu plus de concret, un peu plus d’urgence à ce constat, et c’est un témoignage nécessaire. Mais il vient apporter quelque chose de plus, quelque chose d’indispensable : l’espoir.

Accepter de regarder en face la façon dont l’Europe du XXIe siècle traite les migrants qui frappent à sa porte, c’est se confronter à un immense sentiment d’impuissance, et à la honte. « Que pourrais-je bien faire, moi ? » torture nos esprits avec son corollaire « Qui suis-je, si je ne fais rien ? » Exactement comme pour le changement climatique, ces deux questions nous écrasent et provoquent l’inaction, qui entraîne à son tour honte et sentiment d’impuissance.

Pour briser le cercle infernal et entrer dans l’action, chacun de nous a besoin d’un moteur puissant, celui de l’espoir. Dans le domaine du changement climatique, le film « Demain » (2015) de Cyril Dion et Mélanie Laurent donne à voir des initiatives porteuses de sens et d’espoir. Ce film a poussé des milliers de personnes à entrer dans l’action. Dans le domaine de la migration, Laurence Monroe a cherché, avec le Père Maurice Joyeux, SJ, et le journaliste afghan Mortaza Behboudi, à trouver au sein du camp de Moria « les forces de Résurrection », « les puissances de vie ». Souhaitons que son film devienne à son tour source d’inspiration.

La Communauté Catholique d’Athènes connaît bien le Père Maurice Joyeux, SJ, son ancien aumônier, qui a fondé la branche athénienne du Service Jésuite des Réfugiés (JRS) en 2015 et entraîné de nombreux paroissiens avec lui dans l’aide aux migrants. Aujourd’hui la dynamique de la communauté a changé. Le nombre de paroissiens en situation d’expatriation professionnelle s’est réduit comme une peau de chagrin, tandis que la communauté s’est enrichie d’un contingent toujours plus important de paroissiens migrants, demandeurs d’asile et réfugiés, principalement en provenance d’Afrique subsaharienne, dont beaucoup sont passés par les camps de Lesbos ou de Samos.

Depuis deux ans, les catholiques francophones d’Athènes sont répartis sur deux paroisses. Pour des raisons principalement géographiques, la paroisse historique St-Jean-Baptiste de Psychico, est surtout fréquentée par les expatriés et les binationaux, tandis que la paroisse de Ste-Thérèse de Kipseli est devenue un lieu de rassemblement des migrants et demandeurs d’asile francophones – principalement congolais et camerounais. Le Père Pierre Salembier, SJ, assure la liaison entre les deux.

Je fais partie de ceux qui fréquentent la paroisse historique. Arrivée il y a deux ans avec ma famille, je me suis engagée dans la catéchèse et au JRS. J’ai également choisi de faire de la migration le thème central de mon prochain roman, qui se déroule à Athènes.

Mais lors du premier confinement, comme beaucoup, mon réflexe face à l’ampleur du choc a été un repli sur ma famille. J’ai cessé d’aller au JRS où j’animais des ateliers. Ateliers et cours étaient d’ailleurs interdits. Même les jeunes volontaires ont dû rentrer prématurément chez eux. Les messes et le catéchisme se sont arrêtés. Chacun a fait ce qu’il pouvait. Notre communauté s’est mise en sommeil.

Dans ces moments difficiles pour tous, mais plus encore pour ceux qui vivent dans des conditions matérielles et psychologiques indignes, l’initiative du Père Joyeux, qui s’est rendu à Lesbos « pour dire aux migrants que quelqu’un ne les oublie pas », me semble être l’un de ces actes pleins de sens et porteurs d’espoir susceptibles de nous inspirer. Bien sûr, nous n’avons pas tous vocation à aller partager le sort des plus démunis. Mais un pas vers l’autre, même petit, est toujours une lumière qui s’allume. Pas seulement pour l’autre. Pour nous aussi. Comme le dit Laurence Monroe : « Les gens qui s’en sortent moralement sont ceux qui s’occupent des autres ». Si c’est vrai à Moria, c’est vrai pour nous aussi.

En cette fin d’année, où nous sommes de nouveau confinés, aucun d’entre nous n’a eu envie de vivre cette nouvelle épreuve comme nous l’avons fait la première fois. « L’espérance est quelque chose qui se cultive de manière communautaire, pas tout seul », dit le Père Joyeux dans le film. Pour ce deuxième confinement, notre CCM d’Athènes a décidé de jouer la carte du « ensemble, malgré tout ».

C’est ainsi que nous avons mis en place une messe virtuelle, célébrée par le Père Pierre Salembier, SJ, et animée par des volontaires du JRS sur leur lieu de confinement. Cette messe est diffusée en ligne chaque dimanche et suivie par les membres de nos deux paroisses, par d’anciens membres de la communauté, et même par nos familles éparpillées dans le monde. Elle est un lien vivant et un soutien pour les membres de notre communauté.

Messe virtuelle célébrée par le Père Pierre Salembier, SJ, le 22 novembre 2020. Droit réservé.

Nous avons aussi commencé le catéchisme en version virtuelle, afin de proposer aux enfants un espace de joie, de partage et d’espoir au milieu de leur quotidien confiné.

En ce temps de l’Avent, laissons-nous porter par l’espoir et mettons-nous en action. Pour eux, pour nous.

Bénédicte Fleury, CCF d’Athènes (Grèce)

Retour sur l’article complet “La mission aux frontières, Lesbos – Athènes” et sur l’interview de Laurence Monroe, réalisatrice du film documentaire “Moria, par delà l’enfer“.