Précédent sécrétaire général de la CEF

Réflexion de Thierry Magnin
Dans un texte écrit au printemps dernier, alors que la crise sanitaire liée à l’épidémie de covid-19 battait son plein, le Père Thierry Magnin, ancien secrétaire général de la Conférence des évêques de France, engagée depuis septembre 2019 dans un programme triennal sur la conversion écologique, souligne la pertinence et l’actualité des perspectives tracées par le pape François dans Laudato Si.

 


LE CONFINEMENT : UNE SITUATION INEDITE
Croire que la vie est plus forte que la mort est un appel et un défi

Solidarité confinement

Un tout petit virus de quelques millièmes de millimètre et d’une quinzaine de gènes sème la panique dans de très nombreux pays du globe, qu’ils soient riches ou en voie de développement. Il bouleverse la vie du monde entier. Les personnes atteintes pourraient se compter en plus d’une centaine de millions, les personnes hospitalisées en millions et les décès en plusieurs centaines de milliers. Plus de trois milliards de personnes sont confinées et les rues des grandes villes sont désertes. Mais le virus ne s’arrête pas là : l’expansion de l’épidémie nous conduit à mettre l’économie en sommeil voire en arrêt complet dans bon nombre de secteurs, les bourses chutent, le nombre de chômeurs se compte en millions. Au temps des technosciences, nous (re)découvrons combien nous sommes interdépendants et plus vulnérables que nous ne le pensions.

En quelques semaines le monde s’est figé dans la peur, même si la mobilisation s’est organisée, s’accompagnant de beaucoup de créativité et d’ingéniosité. C’est le temps de la solidarité et de la lutte collective contre l’épidémie. Notre premier devoir de chrétien est de participer, chacun à sa place, à cette solidarité nationale et mondiale, pour soulager les plus atteints, accompagner les familles devant la maladie et parfois la mort d’un proche, soutenir les personnes isolées, celles qui perdent leur emploi, sans oublier les prisonniers, les sans-papiers et les personnes de la rue. Solidarités matérielles, morales, spirituelles, dans lesquelles l’Eglise catholique prend  toute sa part.

Le besoin d’être écouté de nombreuses personnes révèle de fortes questions de sens sur ce que nous vivons douloureusement : troubles et peurs devant l’ampleur mondiale du phénomène, devant le nombre de malades et une forme d’impuissance pour endiguer la vague, devant le nombre de morts, la situation des personnes âgés et fragiles, les difficultés pour les accompagner à distance, les deuils difficiles à faire lorsque les conditions de la mort et des funérailles sont rendues délicates… Le besoin de sens est perceptible, lequel appelle à un recueillement, une vie intérieure soutenue, des liens spirituels entretenus. De plus, même si l’on n’est pas directement touché par la maladie, les périodes de confinement sont propices non seulement à la réflexion, mais aussi à la lecture, au recueillement, à la méditation, autant d’occasions de reprendre en soi les grandes questions existentielles. Le rôle de l’Eglise et des religions « sur le terrain » est ici essentiel. Croire que la Vie est plus forte que la mort au temps du coronavirus est un appel et un défi !

Nous avons le devoir de réfléchir sur ce qui nous arrive. Réfléchir à notre présent d’abord puis à nos lendemains. Comment comprendre ce qui nous arrive ? La parole de Dieu et l’histoire du salut peuvent-elles nous éclairer ? Comment vivre ce temps d’épreuve et d’incertitude ? Saurons-nous tirer du bon de cette épreuve pour l’avenir ? Chercher comment adopter de nouveaux modes de vie peut en être un beau fruit et un chemin de salut. Notre interdépendance passe par nos liens à la nature, y compris aux virus et microbes, nos liens de mondialisation (économiques, numériques, touristiques, juridiques, écologiques, politiques…). Elle touche à la « clameur de la terre et à la clameur des pauvres » chères au pape François, aux questions sociales et à l’équilibre des écosystèmes ; bref elle dit quelque chose de l’écologie intégrale.

 


L’HOMME DANS LES ECOSYSTEMES
« Tout est lié »

Webzine, Le chemin de l'écologie intégrale

Pour le paléoanthropologue Pascal Picq[1], la crise du Covid-19 est venue brusquement nous rappeler que l’espèce humaine n’a jamais cessé et ne cessera jamais de coévoluer avec les autres es­pèces, à commencer par les virus et les bactéries. Certaines des maladies de ces derniers temps (Ebola hier, le Covid-19 aujourd’hui) viennent de la nature, du monde des bêtes sauvages (chauves-souris par exemple). Elles font des dégâts parce qu’elles correspondent à l’irruption brutale, dans les sociétés humaines, d’agents pathogènes qui vi­vaient jusqu’ici hors de notre sphère, et avec lesquels nous n’avons donc pas pu coévoluer. Nous détruisons les forêts à un rythme accéléré et nous mettons ainsi en contact les populations de ces territoires avec de nouveaux agents pathogènes.

Nous formons des « écosystèmes » avec la nature, y compris avec ces microorganismes qui jouent directement sur notre santé et nous apprenons à coévoluer, à cohabiter. « Tout est lié », même si la complexité des écosystèmes rend difficiles les prévisions de leurs évolutions. Peut-être avions-nous oublié que l’espèce humaine est intimement liée aux autres espèces vivantes. Le covid-19 remet les pendules à l’heure. Dans cette crise nous voyons aussi combien les influences de la nature et de la mondialisation se conjuguent pour répandre l’épidémie. Le transport aérien lié au commerce et au tourisme de masse favorise grandement l’expansion. Le virus du pangolin chinois infecté par une chauve-souris a pu ainsi parcourir le globe ! Là aussi, tout est lié, pour le meilleur et pour le pire. Ces conditions permettent aux virus et autres pathogènes de sortir de leurs écosystèmes naturels et d’infecter l’homme qui ne les « connait pas » et devra cohabiter et coévoluer avec eux pour trouver un nouvel équilibre de santé !

Il est important de considérer les relations entre « écosystèmes », tant au niveau personnel qu’au niveau du genre humain, y compris pour définir autrement les maladies (et les voies de guérison) qui sont en fait largement dépendantes des perturbations d’équilibre des systèmes. Cette prise de conscience à travers les dégâts du coronavirus renvoie de manière forte à la dernière déclaration du forum de Davos disant qu’il était temps de réfléchir nos actions en termes d’écosystèmes. Dans l’article cité ci-dessus, Pascal Picq conclut en disant que nous sommes en train d’entrer dans une nouvelle période, celle de la pensée écosystémique, de la responsabilité sociétale des entreprises et de la montée en puissance des technologies bioinspirées (dont l’intelligence artificielle constitue aujourd’hui un excellent exemple). Espérons que la crise actuelle va accélérer ce processus.

[1] The Conversation, 3 avril 2020 et 15 avril 2020 : covid-19 : origine naturelle ou anthropique ?


AU NOM DE LA SANTE PUBLIQUE
Derrière la crise sanitaire continue de se profiler celle de l’écologie

Pollution industrielle mondiale, CR Lovepik

Dans cette crise du coronavirus, on voit revenir en force le rôle des Etats pour garantir un bien commun très précieux, la santé. Au nom de cette santé, on décrète un confinement général, sous conditions très encadrées de possibilités de déplacement. En respectant ces mesures, chaque individu est censé être responsable non seulement de sa santé mais de celle des autres, y compris à travers les fameux gestes barrières. Et ce qui paraissait encore impossible il y a encore peu de temps advient : la mise en sommeil de parties importantes de l’économie, sauf pour les besoins élémentaires de la vie quotidienne, la mise au chômage technique de beaucoup de salariés, la diminution drastique des transports, la fin des escapades touristiques et du tourisme de masse…

L’Etat débloque les fonds nécessaires pour soutenir l’effort de santé ainsi qu’une économie au ralentie avec des mesures sociales garantissant, en France par exemple, le paiement des heures chômées et le report de certaines taxes ou impôts pour les personnes et les entreprises. Les milliards d’euros et de dollars annoncés par des Etats comme les USA et les états européens pour assurer la survie, puis le redémarrage de nos sociétés développées nous étonnent par leur ampleur. Alors qu’on nous disait que la dette des états était déjà trop élevée, voilà que le fait de la creuser se pose de manière complétement différente devant le bien commun de la santé à préserver. Et même si on annonce une crise économique forte comme conséquences de cette crise sanitaire, d’aucuns ajoutent que la priorité est claire aujourd’hui et que l’accroissement de la dette est second.

On comprend l’urgence vitale qui nécessite de prendre, sur le champ, toutes les mesures nécessaires en réorientant les priorités. Il y va de la survie d’une partie de la population, et de notre futur. Mais la soudaineté d’une épidémie ne doit pas nous faire oublier ce qui menace aussi notre santé tous les jours, de manière moins soudaine et plus pernicieuse, à savoir la pollution liée à la chaine « écologique » qui vient notamment d’une industrialisation peu respectueuse de l’environnement, du réchauffement climatique aux multiples conséquences, d’une biodiversité mal traitée et de bien d’autres éléments environnementaux, de nos modes de production, de nos échanges commerciaux, de nos modes et choix de vie. Le covid-19 a pris infiniment plus d’importance en quelques semaines que les crises du climat ou de la biodiversité.  Mais aujourd’hui des voix s’élèvent pour montrer que biodiversité et épidémie sont en fait liées.

Derrière la crise sanitaire actuelle continue de se profiler une crise bien plus grave, celle de l’écologie. Elle aussi nécessite déjà depuis des années et plus que jamais de mettre en œuvre des moyens conséquents qui réorientent nos modes vie, de déplacements et de consommation…Certains rêvent d’un retour « avant le coronavirus » alors que l’urgence écologique nous mettait déjà devant un mur. D’autres voudraient fermer les frontières ou voir décroître la population mondiale (à commencer par celle des pays pauvres) dont la croissance accélérée apparaît comme la cause numéro un des problèmes d’aujourd’hui. Le pape François propose avec beaucoup d’autres acteurs aujourd’hui (comme le patriarche Bartholomée) d’entrer dans la sauvegarde de la maison commune par une autre voie, celle de l’écologie intégrale. Plus que jamais, l’épreuve que nous vivons actuellement est comme un appel à réfléchir et agir dans ce sens, au nom d’une forme de « santé publique » touchant l’homme global et tout le genre humain dans ses écosystèmes.

 


VERS UNE ECOLOGIE INTEGRALE
Il s’agit de redéfinir le progrès

Expérience Eglise verte lors d'une sortie scout , CCF de La Haye

Expérience Eglise verte lors d’une sortie scout, CCF de La Haye

Les appels pour « changer nos modes de vie » au niveau mondial, ne prétendent pas rejeter en bloc les fruits de la modernité. Il s’agit davantage de trouver de nouvelles façons de vivre et de travailler, à l’échelle de la planète, pour une nouvelle mondialisation respectueuse de l’environnement, et alliant dans un même mouvement « écologie environnementale et écologie humaine et sociale ». Le choc sanitaire sur fond de choc écologique modifie la tension entre économie et écologie en nous mettant en face de nos choix sociétaux, de nos priorités et de « ce qui a du prix à nos yeux » ! La nature, la matière, les espèces vivantes, les territoires ne sont pas d’abord des ressources à exploiter par un humain « maître et possesseur de la nature ».

L’économiste chrétien Pierre-Yves Gomez, professeur à l’Ecole de Management de Lyon, souligne que le covid-19 opère comme un révélateur indiscret de l’état de santé de notre société. « Il confirme les forces et les fragilités des liens humains, les fractures et les inégalités sociales, le degré d’intégration et de cohésion du fameux “vivre ensemble”. Il faudra tirer méthodiquement les leçons de cette mise à nue de la société. La pandémie n’est pas venue frapper sournoisement un capitalisme mondial en pleine santé. Elle atteint une économie déjà fiévreuse, des marchés financiers tout puissants mais qui paniquent et s’effondrent au moment du danger et une idéologie libérale hier arrogante qui quête aujourd’hui une intervention massive des États et salue le recours à l’endettement public pour la sauver[1]. Puis il ajoute : il faut tirer les leçons de ce que nous savions mais qui apparaît au grand jour : la spéculation avait contaminé l’économie et elle tenait lieu de moteur de croissance. Pour Pierre-Yves Gomez, la pandémie nous donne l’opportunité de réguler une machine économique spéculative devenue folle qui fragilisait les ressources humaines et environnementales, mais aussi les ressources de sens, en faisant de la course et de l’agitation, un mode de vie épuisant.

Dans une interview pour le journal Le Monde[2], Corine Pelluchon, professeur de philosophie à l’université Gustave Eiffel et membre du conseil scientifique de la Fondation Nicolas Hulot, analyse la pandémie de coronavirus comme un rappel « en premier lieu, [de] la profonde vulnérabilité humaine dans un monde qui a tout fait pour l’oublier ». Pour la philosophe « nos modes de vie et tout notre système économique sont fondés sur une forme de démesure, de toute-puissance, consécutive à l’oubli de notre corporéité ». Mais aujourd’hui, « nous qui nous pensions définis par notre volonté et nos choix, nous sommes arrêtés par cette passivité existentielle, par notre vulnérabilité, c’est-à-dire par l’altération possible du corps, par son exposition aux maladies et son besoin de soin et des autres ». Dans la foulée de Levinas, la philosophe indique que « seule l’expérience de nos limites, de notre vulnérabilité et de notre interdépendance peut nous conduire à nous sentir concernés par ce qui arrive à autrui, et donc responsables du monde dans lequel nous vivons ».

De nombreux auteurs pensent ainsi que cette crise est l’illustration de la mort d’un paradigme progressiste ayant fait son temps. Dans ce contexte, les paroles du pape François dans Laudato Si (2015) résonnent plus fortement que jamais : Il ne suffit pas de concilier en un juste milieu la protection de la nature et le profit financier, ou la préservation de l’environnement et le progrès… Il s’agit de redéfinir le progrès. Un développement technologique et économique qui ne laisse pas un monde meilleur et une qualité de vie intégralement supérieure ne peut pas être considéré comme un progrès (LS 194). Pour le pape, ce progrès ne se confond pas avec la croissance, avec un accroissement de puissance technologique, avec l’accumulation de richesses matérielles et avec l’augmentation du PIB, sans pour autant négliger ces facteurs.

 

[1] Le covid-19 ou l’opportunité de réguler une machine économique spéculative devenue folle » (Aleteia, 26 mars 2020)

[2] L’épidémie doit nous conduire à habiter autrement le Monde, 23 mars 2020


UNE NOUVELLE APPROCHE DE L’ECOLOGIE
Se nourrir de l’Evangile pour changer nos modes de vie

Le pape plaide et argumente pour une nouvelle approche de l’écologie qui ne se cantonne pas aux relations de l’être humain avec son environnement, mais concerne aussi le développement économique, les relations sociales, les valeurs culturelles et, finalement, la qualité de sa vie quotidienne aussi bien dans les lieux publics que dans son habitat. Cette approche de l’écologie intégrale considère que le rapport à Dieu, le rapport à soi, le rapport aux autres, et le rapport à la nature, sont liés : il faut en prendre soin dans une mesure similaire afin de ne pas introduire de désordre dans le monde (le désordre climatique en est un). Le déséquilibre de ces rapports est à l’origine anthropologique de la crise écologique.

Il est frappant de constater combien les perspectives tracées par le pape François dans l’encyclique Laudato Si’ sont pertinentes pour analyser, comprendre et relever les défis que la crise sanitaire du covid-19 révèle avec force. François nous invite à prendre les risques nécessaires pour promouvoir, en ces temps de crise écologique, un « développement humain intégral » : Il s’agit d’ouvrir le chemin à différentes opportunités qui n’impliquent pas d’arrêter la créativité de l’homme et son rêve de progrès, mais d’orienter cette énergie vers des voies nouvelles (LS 191). Il s’agit de se nourrir de l’Evangile pour changer nos modes de vie, personnelle et en société, d’accueillir et d’annoncer le salut en Jésus-Christ sur ce chemin, en prenant des risques par temps d’urgence écologique, dans une perspective d’espérance et non d’effondrement définitif. Tout est lié, et cela nous invite à mûrir une spiritualité de la solidarité globale qui jaillit du mystère de la Trinité (LS 240).


QUE FERONS NOUS DE CET APPEL DU PAPE FRANCOIS ?

Que ferons-nous de cet « appel » du pape François en sortant de la crise sanitaire, en vivant sans doute une crise économique et sociale ensuite ? Comment les chrétiens (et les évêques de France engagés dans un programme de conversion écologique), revisitant la mémoire biblique de la Création et des fléaux qu’a dû affronter de tous temps l’humanité (et qu’elle aura à affronter demain de nouveau), prendront-ils, avec tous les hommes de bonne volonté qui se sont déjà lancé dans l’aventure écologique, les risques de vivre la conversion écologique dans le sens de l’écologie intégrale ? Oserons-nous expérimenter, avec d’autres, de nouveaux modes de vie, de travail, de production, de consommation, d’économie juste et solidaire, de relation à la terre, au vivant, à la nature, au cosmos, en ayant comme priorité le regard tourné vers les plus pauvres ? Quel renouveau spirituel les chrétiens apporteront ils à la société pour relever ces défis, avec quelle nouvelle forme d’éducation, notamment à travers l’enseignement catholique ?

Il s’agit de ne pas perdre la réflexion et l’expérience de cette épreuve du coronavirus lorsque nous en sortirons, afin de prendre à bras le corps une urgence d’ampleur encore plus grande, celle de la conversion/transformation écologique au sens de l’écologie intégrale. La crise sanitaire nous vaut de magnifiques solidarités et réflexions devant une situation mondiale inédite. Même si cette crise sera traversée, « quelque chose est en train d’advenir » dans notre réflexion collective, en relation étroite avec le défi de l’écologie intégrale. La transformation écologique sous-jacente se situe davantage dans la durée et demandera des réformes structurelles d’envergure que seul un souffle spirituel profond peut susciter.

 

Bonus ! 

Analyse de l’encyclique Laudato Si de Fabien Revol, théologien catholique français, spécialiste de la théologie de la Création.

Dossier Laudato Si de l’Eglise de France : Ce dossier proposé par le pôle “Écologie et Société” de la Conférence des évêques de France vise à faire connaître et faire vivre l’Encyclique Laudato Si’ du Pape François.

Découvrez “Tout est lié“, le nouveau webzine de la CEF consacré à l’écologie intégrale.

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